lundi 27 juin 2016

SOLDATS DE VERDUN ET DE LA SOMME 1916 - 2016

Depuis la fin mai 1916, le secteur de Verdun s'est embrasé:


- 22 mai: contre-attaque française sur le Fort de Douaumont qui échoue !

- 7 juin: prise du Fort de Vaux par les Allemands !

- 23 juin: nouvelle grande offensive des Allemands sur la rive droite de la Meuse; offensive qui se solde par un échec ! Cette date fut par la suite choisie pour célébrer la bataille et la victoire de Verdun.

En même temps, nos Alliés viennent à notre secours: les Russes, sous le commandement du général Broussilov, ont lancé une grande offensive victorieuse contre les Autrichiens le 4 juin 1916 et les Anglais, appuyés par la VIème Armée Française, bombardent les positions allemandes dans la Somme en prévision de la grande offensive qui doit commencer le 1er juillet. 

Ces attaques obligent les Allemands à retirer de plus en plus de troupes du secteur de Verdun même s'ils tentent encore, par des attaques brusques et violentes, d'avancer vers la ville jusqu'au 12 juillet 1916. A cette date, la dernière offensive allemande sur le Fort de Souville se solde par un échec sanglant, leurs troupes d'assaut étant décimées par les tirs des mitrailleuses du fort. Désormais, les Allemands sont sur la défensive.



Carte postale, publiée après 1918, montrant le Fort de Souville (collection particulière)

Dans cette terrible guerre d'usure, nous allons nous intéresser à deux soldats français. L'adjudant Aimé Etienne était artilleur à Verdun et le caporal Barthélémy Simon, mitrailleur dans la Somme.


Un artilleur à Verdun

L'adjudant Aimé Auguste Etienne




Aimé Auguste Etienne est né le 23 mai 1888 à Champey en Meurthe-et-Moselle. Il s'est engagé dans l'armée, à la mairie de Nancy, le 24 septembre 1907 à l'âge de 19 ans après avoir été aide rural. Il est le fils d'Eugène Louis Étienne et de Marie Alexandre. Selon son livret militaire, il mesurait 1 m 68 cm, et il avait des yeux gris et des cheveux châtains. 

Il a fait carrière dans le 29ème Régiment d'Artillerie cantonné à Laon, et par la suite il a renouvelé son contrat en 1910, 1912, 1913 tout en montant en grade: brigadier le 18 avril 1908, maréchal des logis le 3 octobre 1908 puis adjudant le 3 octobre 1915. Il a conservé plusieurs photos de la période passée à Laon.




Aimé Etienne avec ses camarades du 29ème R.A. de Laon (1ère batterie) peu avant la Grande Guerre





Les sous-officiers et officiers du 29ème Régiment d'Artillerie de Laon avant 1914 avec Aimé Auguste Etienne.





Il s'est marié le 1er août 1911 avec Lucienne Julie Brébant à Gizy dans l'Aisne. Trois enfants naquirent de cette union, mais après la guerre: Micheline (1921), Pierrette (1923) et Louis.

L'adjudant Aimé Etienne était donc un militaire de carrière.


Aimé Auguste Etienne en 1911 lors de son mariage


Lorsque la guerre éclate, il est maréchal des logis chef et sert dans une batterie de canons de 75 mm au 29ème R.A.


Livret militaire d'Aimé Auguste Etienne établi à Metz en 1925



Le 16 février 1916, il souffrit d'une grosse contusion du genou suite à une chute de cheval en se rendant à sa batterie, événement qui fut consigné comme "blessure" dans son livret militaire. Il servit ensuite à Verdun, comme adjudant, dans les secteurs de Fleury et de Douaumont. Pour sa conduite, il reçut une citation inscrite aussi dans son livret militaire:






"Ordre du régiment n° 7 du 12 juillet 1916.

Excellent sous-officier, très brave et très calme, a assuré d'une façon parfaite le ravitaillement de sa batterie pendant la période du 9 au 29 Juin 1916 passée à Verdun. Appelé comme chef de section à la batterie de tir, a fait preuve de beaucoup de courage et a donné un bel exemple de devoir accompli au personnel sous ses ordres ". 

Cette citation lui donne droit à la croix de guerre avec étoile de bronze. 

Il reçut également la médaille de Verdun avec un petit diplôme tamponné au Fort de Douaumont, qui a été repris le 24 octobre 1916 par les Français. Cette médaille fut créée par la ville de Verdun pour récompenser ses défenseurs vainqueurs des Allemands. La médaille, qui n'a pas de ruban, montre une Marianne casquée armée d'une épée avec la légende "on ne passe pas"; au revers, on voit une porte fortifiée avec la date "21 février 1916" (date du début de la bataille). Cette médaille porte déjà en elle toute la symbolique de Verdun élaborée à l'époque: la lutte victorieuse contre les "barbares allemands" grâce à l'héroïsme et au sacrifice des soldats français.



Le petit diplôme de la médaille de Verdun avec le tampon du Fort de Douaumont (recto) et celui du colonel commandant la place de Verdun (verso).






Aimé Auguste Etienne poursuit la guerre dans le 217ème Régiment d'Artillerie de Campagne (RAC) où il a été muté le 1er avril 1917, et combat à nouveau à Verdun en août-septembre 1917 au Bois le Chaume, puis dans toutes les batailles de 1918 dans l'Aisne et dans l'Oise. Son régiment s'étant distingué lors de ces combats, il reçoit en novembre 1918 un grand diplôme signé par son colonel et qui énumère toutes les citations reçues par le 217ème RAC.





Il retourna au dépôt du 29ème R.A. le 18 décembre 1918, puis il fut affecté au 102ème Régiment d'Artillerie Lourde le 5 octobre 1919. Il reçu à cette époque la Médaille Interalliée de la Victoire.




Par décret du 28 décembre 1924, il reçoit la médaille militaire en raison de ses services dans l'armée. Il a alors fixé sa croix de guerre et sa médaille militaire sur le diplôme de la médaille militaire, avec du fil !





La croix de guerre reçue à Verdun


La médaille militaire reçue en 1924


Il a reçu aussi la légion d'honneur le 11 juin 1937. Aimé Auguste Etienne poursuivit sa carrière dans l'armée, en se rengageant régulièrement, avec un service comme instructeur dans plusieurs régiments et dépôts d'artillerie, tout en montant en grade. Il fut promu adjudant - chef le 1er février 1925, sous-lieutenant le 25 mars 1929, lieutenant le 25 mars 1931, puis capitaine le 21 septembre 1936. 

Les rapports soulignent sa "distinction naturelle" et son "excellente éducation" et notent son zèle et sa minutie en tant qu'organisateur dans le service. Aimé Auguste Etienne est jugé comme un excellent officier, travailleur et très sérieux, doté d'une autorité naturelle mais on note aussi ses relations parfois orageuses avec ses supérieurs comme en 1935 : "a manqué un peu de souplesse dans ses relations avec le commandant d'établissement qui emploie le personnel de la compagnie, du fait de son tempérament énergique et autoritaire qui le rend un peu trop rigide dans les menus détails du service".

Il servit principalement dans le 101ème régiment d'Artillerie, au camp de Mailly (8ème B.O.A.) et à Vitry-le-François jusqu'à la Seconde Guerre Mondiale, en tant qu'instructeur des recrues et chargé du matériel notamment les canons de l'ALVF (Artillerie Lourde sur Voie Ferrée). 




Aimé Auguste Etienne dans les années 1920 avec ses camarades du 101ème Régiment d'Artillerie.


Il fut mobilisé de nouveau le 2 septembre 1939 et il passa la guerre dans des dépôts d'artillerie à Châlons-sur-Marne puis à Vincennes dans un Etat-Major, chargé de l'instruction pour la DCA. Replié dans le sud de la France, il fut démobilisé le 21 août 1940 à Lavardac dans le Lot-et-Garonne, mis à la retraite et rayé des cadres. Mais il fut rappelé le 15 septembre 1944 pour servir dans l'intendance puis dans la direction du service du matériel à Châlons.

Il quitta l'armée le 1er janvier 1946 lorsqu'il prit définitivement sa retraite. Retiré à Châlons-sur-Marne (aujourd'hui Châlons-en-Champagne), au 21 rue du général Fery, il eut la douleur de perdre son fils Louis, maréchal des logis au 2ème régiment de Spahis Marocains, décoré de la croix de guerre des TOE pour sa bravoure, qui fut tué en Indochine, à Caitac, le 16 mai 1951.



Le capitaine Aimé Auguste Etienne vers 1937


Aimé Auguste Etienne resta marqué par son service à Verdun puisqu'il participa aux cérémonies de 1976, pour le soixantième anniversaire de la bataille, dont il conserva le livret avec les discours et photos. Il obtint alors sa dernière médaille, en bronze et très  lourde, qui célébrait le courage des Poilus et la victoire, et un diplôme signé par le président Valéry Giscard d'Estaing pour services rendus à la Patrie en 1914-1918. 








Il mourut en 1980.



Emma Szybalski, Elsie Wagner, Héléna Acquistapace 
(Seconde 3)



Sources:
Papiers et médailles d'Aimé Auguste Etienne trouvés en brocante.



Un mitrailleur dans la Somme

Barthélemy Simon

Barthélemy Edmond Félicien Simon est né le 24 août 1892 à Granges-sur-Vologne, dans les Vosges. Il est le fils de Charles Gabriel Simon et de Rosalie Constance Jérôme (nom orthographié Gérôme dans le livret de famille). 






Avant de partir au front, Barthélémy Simon résidait à Rupt-sur-Moselle et vivait avec ses parents, il était ouvrier de filature et donc appartenait à une classe modeste. Il avait commencé à travailler à l'âge de 13 ans, comme apprenti dans une filature de Granges, comme le montre son livret de travail pour enfant établi le 8 novembre 1905.






Son livret militaire indique qu'il mesurait 1 m 71, qu'il avait les yeux bruns et les cheveux châtain foncé, ainsi que des naevus aux joues et un tatouage "S.F." (Simon Félicien) sur l'avant-bras gauche. En effet, Félicien était son prénom d'usage comme le montrent ses papiers d'identité et sa signature "F. Simon"ou "Simon Félicien".



Il fut mobilisé dès le 2 août 1914 dans le 172ème régiment d’infanterie mais il avait déjà commencé son service militaire auparavant dans cette unité, comme appelé de la classe 1912 au centre d'Epinal, qu'il avait rejoint le 8 octobre 1913. Les Archives Départementales des Vosges conservent le registre matricule de la classe 1912, avec sa fiche personnelle (n° 2071) qui comprend des informations précieuses sur notre soldat.




Livret militaire de Barthélémy Simon


Avec son régiment, il combattit à de nombreux endroits ; il commença en Alsace, puis il partit en  Champagne où il fut blessé une première fois le 27 septembre 1915: "plaie à la main gauche", mais il ne fut pas évacué. Il combat également à Verdun. 

Finalement, il est blessé une seconde fois dans la Somme dans le Bois Labé, près de Bouchavesnes, le 25 septembre 1916, lors de la dernière grande attaque française qui fut bloquée par les Allemands. Il était alors caporal, depuis le 14 juillet 1916, dans la compagnie n°2 de mitrailleuses.



Soldats français servant une mitrailleuse Saint-Etienne (collection particulière)



Carte du JMO (Journal des Marches et Opérations) du 172ème RI indiquant le Bois Labé au sud de Bouchavesnes.



JMO du 172ème RI mentionnant Barthélémy Simon, matricule 1460, Compagnie de Mitrailleurs 2, blessé le 25 septembre 1916 (le 1er en haut sur la page de droite).




Il est alors transféré à Paris dans le lycée Buffon, qui tient lieu d’hôpital temporaire.




Billet d'hôpital de Barthélémy Simon établi au lycée Buffon (1er octobre 1916)


Il écope d'une fracture compliquée à la cuisse droite (ou gauche selon le début du billet d'hôpital) qui a été perforée suite à la projection d'un shrapnel. Plus grave, son fémur  a été brisé par le projectile au niveau du tiers moyen.

Dans l’hôpital improvisé, sa jambe est plâtrée et on applique sur celle - ci un pansement Carrel qui comprend un tube souple qui irrigue la blessure en continu avec un bactéricide puissant, l'hypochlorite de sodium. 

Sa jambe est aussi mise en extension continue. La fracture est ainsi réduite et se consolide; il finit par cicatriser et il parvint à se rétablir ainsi. 


Le lycée Buffon à Paris dans les années 1920



Livret militaire de Barthélémy Simon. Page consacrée à sa convalescence.



Il sortit de l'hôpital le 15 mars 1917 pour une convalescence de longue durée tout en étant "classé", dès le 20 mars, dans un service auxiliaire. Malgré cette blessure, avec comme séquelles un raccourcissement de la cuisse de 2 centimètres et une flexion du genou limitée, il est pourtant jugé "apte au front" et maintenu dans un service auxiliaire de son régiment par une décision de la commission de réforme de Montluçon le 21 juin 1917. 

Néanmoins, quelques jours plus tard, le 30 juin 1917, il se maria à Rupt-sur-Moselle avec Marie Louise Léonie Lecomte, née le 27 mars 1892 (et décédée le 31 août 1960), elle aussi ouvrière de filature. 





Il fut muté le 15 juin 1918 dans le 53ème Régiment d'Artillerie puis dans le camp de prisonniers de guerre de Clermont-Ferrand (13 décembre 1918) et enfin dans le 92ème Régiment d'Infanterie le 30 janvier 1919 avant d'être finalement renvoyé en congé illimité et de finir son service militaire le 28 mars 1919 à Belfort. Il rentra chez lui, à Rupt-sur-Moselle, puis il habita Le Thillot, toujours dans les Vosges. 



La citation à l'ordre du régiment de Barthélémy Simon (5 octobre 1916)




La croix du combattant 


Il fut récompensé dès le 5 octobre 1916 par une citation élogieuse n° 474 à l'ordre du 172ème RI en raison de sa blessure avec attribution de la croix de guerre avec étoile de bronze:

"Gradé très dévoué, a été grièvement blessé en dirigeant sa pièce au cours de l'attaque du 25 septembre 1916. Au front depuis le début."


Plus tard, dans les années 1930, il reçut la croix du combattant avec sa carte, ainsi que la médaille militaire attribuée le 26 octobre 1937.

Barthélémy Simon, classé comme invalide à 10 %, fit une carrière dans les chemins de fer, dès le 20 janvier 1920, d'abord avec une affectation spéciale comme poseur de voie aux Chemins de Fer de l'Est, puis comme employé à la SNCF, avec le grade de chef de canton. Il eut trois enfants : Jeanne, Marius et Lucie. 

Il fut déporté en 1944 par les Allemands qui l'enfermèrent à Mulhouse mais il fut libéré par les troupes françaises libres et put retourner chez lui en novembre 1944. 





Laissez-passer accordé à Barthélémy Simon par la sécurité militaire de la 1ère Division Blindée afin qu'il puisse rentrer chez lui (28 novembre 1944)


Barthélémy Simon prit sa retraite le 1er novembre 1948 et reçut la médaille d'honneur des chemins de fer (vermeil) le 28 janvier 1949. 





Barthélémy Simon en 1968 (carte d'identité)


Il mourut accidentellement au Thillot le 10 mars 1969 selon les informations du livret de famille.


Myriam Hicheri, Faustine Fialet, Tifenn Chalot
(Seconde 3)


Sources:
Papiers de Barthélémy Simon trouvés dans une brocante.
Historique des régiments sur chtimiste.com
JMO du 172ème RI sur le site Mémoire des Hommes.


Conclusion:

Ces deux exemples montrent des Français d'origine modeste qui ont combattu courageusement pour leur patrie en 1916 et qui furent marqués dans leur chair. Ils furent aussi récompensés par l'attribution de la croix de guerre qui servit de marque de bravoure pour les Poilus.

Mais de très nombreux Français perdirent la vie durant ces deux gigantesques batailles comme le montre la carte mortuaire de ce soldat, l'adjudant Raymond Vassé du 146ème RI, blessé à Verdun le 9 avril 1916 et qui mourut un mois plus tard.


L'adjudant Raymond Vassé du 146ème RI, mort le 6 mai 1916






Carte mortuaire de l'adjudant Raymond Vassé (collection particulière)