Un dessin prémonitoire...
Le numéro de l'Illustration du 18 mars 1916 s'ouvre sur une grande photo du village de Douaumont, dévasté par les bombardements, proche du célèbre fort qui est devenu, depuis le 25 février, le bastion de l'armée allemande.
Le numéro est riche en cartes et en panoramas qui permettent de suivre la bataille avec précision. Le général Pétain, qui a en charge la défense de Verdun, doit faire face à une pression allemande sur deux côtés, à l'Ouest, vers le Mort-Homme, le bois de Cumières et la cote 265, et à l'Est de la ville, vers le fort de Vaux comme on peut le voir plus bas. Les Français ont reculé mais le journal se veut rassurant en montrant des photos de prisonniers allemands.
Un élément a attiré notre attention: une petite bande dessinée publiée sur la dernière page de la couverture d'emballage du journal et intitulée "Noms de villages...", par Henriot. Une petite recherche a permis de trouver que c'était le dessinateur Henri Maigrot dit Henriot qui l'avait faite. Henriot (1857 - 1933) fut dessinateur à l'Illustration de 1899 à 1931.
"Noms de villages..." est une BD qui parle de l'après-guerre mais pendant la guerre de 14 - 18 puisqu'elle fut dessinée en mars 1916 mais elle présente une image de l'après-guerre très juste. Voici les différentes étapes de l'histoire:
1- On peut constater qu'Henriot a commencé par montrer un village prospère et paisible avec les deux premières vignettes.
2- Ensuite la guerre arrive et les armées s'affrontent dans le village qui est dévasté (3ème image).
3- Les professeurs, durant des siècles, apprendront aux élèves les noms des grandes batailles du passé avec les dates. Tout le monde est censé les connaître et de malheureux élèves seront punis pour ne pas avoir su où se trouvaient Bouvines et Denain... (4ème et 5ème vignettes).
4- Ensuite des guides feront visiter aux touristes les lieux des batailles les plus célèbres qui se sont déroulées lors de la Guerre d'Italie (1859) ou lors de la Guerre de 1870 - 1871 (6ème et 7ème vignettes).
5- Les anciens combattants, âgés, reviendront sur les champs de bataille avec leurs enfants pour les leur présenter, pendant longtemps (8ème vignette).
6- Au fil des années, la paix revient dans le village qui est reconstruit. Les arbres repoussent et la vie reprend. Un monument aux morts sera installé sur la place du village afin de se souvenir des grands événements passés. Ce qui est frappant, c'est que le monument au morts ressemble déjà, avec la statue du Poilu, aux monuments qui seront construits après 1918 ! (vignettes 9 et 10). Les villages les plus touchés par la guerre sont ceux situés près des frontières (vignette 11).
7- La dernière vignette montre une femme, symbolisant l'Histoire, qui inscrit sur une tablettes le nom des villages détruits, ici Gerbéviller et Douaumont. Cette femme ressemble beaucoup à la statue de bronze qui se trouvait Place Thiers à Nancy, sur le socle de la statue d'Adolphe Thiers, et qui représentait l'Histoire.
Henriot a donc très bien vu la dimension historique de la bataille de Verdun qui serait placée avec les autres grandes batailles de l'Histoire, et apprise à l'école, ainsi que le processus de la reconstruction des villages et de la commémoration de la Grande Guerre, avec les monuments aux morts et les visites des champs de bataille par les anciens combattants et les touristes. Il pouvait s'appuyer sur le précédent de la Guerre de 1870 - 1871. Mais ce que ne pouvait pas prévoir Henriot, c'est que le village de Douaumont ne fut jamais reconstruit contrairement à Gerbéviller, et plus rien ne subsiste de lui aujourd'hui...
Léa Mathieu, Camille Launois, Ledia Kadiu S- 03