lundi 19 décembre 2016

PORTRAITS DE SOLDATS DE LA GRANDE GUERRE (Deuxième partie - troisième et quatrième portraits)

LOUIS LAGNEAUX ET AUGUSTE  LAQUENAIRE, PRISONNIERS DE GUERRE EN ALLEMAGNE 1914 – 1918

Ces deux soldats ont passé la majeure partie de la Grande Guerre en captivité. Le point de départ de leur histoire a été la découverte de paquets de cartes postales, associées, dans le cas de Louis Lagneaux, à des photos familiales. Ces documents nous permettent de voir la vie dans un camp de prisonniers de guerre et les contacts maintenus avec la famille. Le site du CICR de Genève nous a permis d’apprendre les circonstances de cette captivité.


Louis Lagneaux au camp de Königsbrück


Identifier Louis Lagneaux nous a été facile grâce à sa carte du combattant. De plus, la numérisation des registres matricules permet de retrouver sa fiche qui comporte des informations précieuses pour retracer sa vie (Archives Départementales de l'Aube, registres matricules classe 1912, fiche n° 1020).




Louis Fernand Lagneaux est né le 6 janvier 1892 à Montsuzain, au nord de Troyes, dans l’Aube, en Champagne-Ardenne, aujourd’hui Région Grand Est. Il habitait à Herbisse (aujourd'hui Villiers - Herbisse) , non loin de son lieu de naissance, où se trouvait sa famille et notamment ses parents qui étaient fermiers. Il était le fils d'Etienne Ferdinand Lagneaux et de Maria Alexandrine Babot. Il mesurait 1 m 67 cm, et avait des yeux bleus et des cheveux blonds foncés.





Il a servi comme soldat au 4ème  Bataillon de Chasseurs à Pied (B.C.P.) qui avait sa caserne à Saint-Nicolas-de-Port en Meurthe-et-Moselle, à la 5ème compagnie, comme le montrent des cartes postales écrites avant 1914. 



Louis Lagneaux avant 1914 (debout, le 2ème à partir de la gauche) au 4ème B.C.P.


Carte postale du 4ème B.C.P. écrite en 1913 par Louis Lagneaux

Mais comment expliquer sa présence dans un camp allemand ? Une recherche sur le site du CICR de Genève nous fournit de précieuses informations (il faut faire attention car il y a plusieurs homonymes mais servant dans d'autres régiments) : Louis Lagneaux fut porté disparu officiellement après le 20 août 1914 au combat de Pérange (en fait Pévange, comme il est mentionné dans le registre du camp), près de Morhange, endroit où l’armée française subit une sanglante défaite en Moselle. Il a été retrouvé par la Croix Rouge le 2 novembre 1914,  prisonnier et interné dans un camp à Ohrdruf en Allemagne. 






Registre allemand mentionnant Louis Lagneaux



Les cartes postales qu’il a envoyées à sa famille, et qui sont rarement datées, viennent du camp de Königsbrück en Saxe.

Ce sont des photos prises dans le camp, par un photographe accrédité, avec, au verso, l’identification du prisonnier, l’adresse du camp et la place pour écrire l’adresse de la famille. Elles comportent souvent un numéro pour pouvoir retrouver les soldats qui les achetaient. Louis Lagneaux, toujours très laconique, n’y a inscrit que quelques mots : « Amitiés », « Bonne santé ». Il a commandé parfois plusieurs exemplaires d'une même photo.

On peut y distinguer quatre types de cartes :
- Les photos collectives où on voit Louis Lagneaux avec d’autres prisonniers.
- Les photos individuelles avec Louis Lagneaux en sujet principal, prenant la pose parfois avec un camarade.
- Des vues du camp (monument aux prisonniers français morts, le cimetière).
- Des photos de camarades de captivité.

a) Les photos collectives :

Elles montrent d’abord des loisirs pratiqués par les prisonniers.
Les Français (ici en 1915) ont fait une sculpture dans le sable qui représente Marianne, un des symboles de la France, sous la forme de la « semeuse » d’Oscar Roty. Les prisonniers français, auxquels se mêlent des Russes et des gardes allemands, prennent la pose autour de leur sculpture, visiblement très fiers. Les Russes ont fait de même avec un cosaque.







Ensuite, on voit un groupe de prisonniers français, d’âges différents, près de leur baraque en tôle ondulée. Des sapins se trouvaient dans le camp. Les soldats français avaient une plaque ovale, cousue sur le képi ou la veste, avec leur matricule. Louis Lagneaux, matricule 579, se trouve à gauche, debout (le deuxième en partant de la gauche).





Contrairement à ce qu'on pourrait croire au premier abord, les conditions de vie dans ce camp ne semblent pas aussi terribles que cela. Ici, les prisonniers posent encore avec les gardiens du camp. Les prisonniers n'ont pas l'air d'être trop affectés d'être dans ce camp qui paraît bien tenu et propre; au contraire, certains sourient sur cette photo et les uniformes sont en bon état. Mais il s’agit de photos « officielles » destinées aux familles en France… Montrent-elles la réalité du camp ?

b) Les photos individuelles.

Louis Lagneaux a aussi envoyé des photos sur lesquelles il pose en uniforme, avec un képi ou un béret, parfois avec un ou deux camarades, avec une baraque en bois ou en tôle ondulée du camp, la barrière de barbelés ou une toile peinte du photographe comme décor.


Louis Lagneaux au camp de Königsbrück



Louis Lagneaux coiffé d'un large béret. Carte envoyée de Königsbrück le 18 juin 1917 et adressée à Laure Lagneaux habitant Paris.




Louis Lagneaux au centre, avec deux camarades


Louis Lagneaux dans la neige





Louis Lagneaux près des barbelés du camp



Louis Lagneaux (à droite) en hiver



Louis Lagneaux portant un large béret avec un camarade


Sur cette carte, envoyée à Madeleine Criquenot (sa fiancée ?), il y a une pensée peinte car il ne peut pas écrire beaucoup de mots et cela signifie qu'il pense à sa correspondante.







c) Les vues du camp.

Dans ce camp on peut aussi constater qu'il y avait beaucoup de Russes comme le montre la présence d’une chapelle orthodoxe avec des affiches écrites avec l'alphabet cyrillique.




Carte postale envoyée du camp de Königsbrück le 11 juillet 1918 et parvenue à Herbisse le 23 août 1918: "Amîtiés" (sic)


Les Français avaient aussi construit un monument pour leurs camarades morts en captivité et aussi organisé un cimetière. Cela montre que les conditions de vie n’étaient pas aussi bonnes que cela. On voit une tombe individuelle d’un soldat, Auguste Finot, mort en juillet 1918.










d) Les camarades de captivité.

Louis Lagneaux s’était fait des camarades au camp. Il a conservé les photos de plusieurs d’entre eux avec leurs noms et adresses; ce qui permet aussi de retracer leurs parcours respectifs.


Louis Lagneaux, à droite, avec Pierre Alazard, au centre, et Prospère Sauldubois à gauche



Pierre Alazard, de Cahors, brancardier au 214ème Régiment d'Infanterie, "disparu" le 27 mai 1918.


Fiche du CICR mentionnant Pierre Alazard




Prospère Sauldubois, soldat au 42ème Régiment d'Infanterie, blessé et capturé à Mulhouse le 9 août 1914.






Le douanier Perot qui était originaire de Herbisse. On remarque les baraques en tôle ondulée en arrière-plan ainsi qu'un chemin aménagé au milieu des sapins. Nous n'avons pas réussi à retrouver sa fiche de prisonnier sur le site du CICR.



L'ami mystérieux dont Louis Lagneaux a conservé plusieurs photos prises le 2 mars 1917 sans identification ni annotation.



Louis Lagneaux fut libéré après le 11 novembre 1918, et rapatrié le 27 décembre 1918, après plus de quatre ans de captivité. Il fut réintégré au sein des Chasseurs à Pied comme le montrent d’autres cartes datées de 1919, au sein du 2ème BCP (1er mars 1919) et fit la « garde du Rhin » à Neuf-Brisach avant de retrouver Herbisse en août 1919, ayant été démobilisé le 27 de ce mois (le dépôt démobilisateur étant à Troyes, au 1er BCP). 



Porte-fanions du 2ème B.C.P.; carte postale envoyée par Louis Lagneaux le 30 avril 1919


Carte postale du 11 août 1919. Louis Lagneaux annonce son retour.


On ne connait pas la suite de son histoire. Sa fiche indique qu'il avait deux enfants. Il était toujours vivant en 1935. Peut-être a-t-il repris la ferme familiale puisqu'il était noté comme "cultivateur"? Curieusement, toutes les cartes postales du camp envoyées aux divers membres de la famille ou aux amis furent rassemblées dans une boîte avec d’autres documents familiaux. Selon le fichier des décès de l'INSEE, Louis Lagneaux mourut à Herbisse le 23 septembre 1978 à l'âge de 86 ans. 

Louis Lagneaux n’a donc connu que trois semaines de combat avant d’être fait prisonnier et il retrouva l’armée après sa libération en 1919. Ses cartes de Königsbrück montrent la vie d’un prisonnier avec son cadre de vie, ses activités et la sociabilité entre camarades de captivité.

 Lisa PEFFERKORN et  Lilou THIBODEAUX Seconde 04





Auguste Laquenaire, prisonnier à Merseburg


Auguste Laquenaire est un ancien prisonnier de guerre qui vivait à Deneuvre, près de Baccarat, en Meurthe-et-Moselle, c'est un ancien chasseur à pied du 20ème  Bataillon comme l’indiquent le numéro sur son uniforme et son identification sur les cartes. Un petit lot de cartes postales permet de retracer son histoire.

Auguste Laquenaire fit son service militaire en 1907 et on le voit avec des camarades dans les environs de Fontainebleau. Il avait épousé Irma Bessot, dont les parents étaient coiffeurs à Deneuvre, avant la guerre, et ils avaient eu une fille appelée Yvette.



Auguste Laquenaire (assis au centre droit avec un gobelet à la main) en 1907 à Fontainebleau

Auguste Laquenaire, debout, le premier à droite, au camp du Bréau (près de Fontainebleau), en juin 1907, dans le 23ème colonial.



Auguste fut capturé le 4 octobre 1914 à Neuville Saint-Vaast (près d'Arras) et fut emmené au camp de Merseburg en Saxe-Anhalt (comme l'indique le registre du camp que l'on peut trouver sur internet sur le site du CICR) sous le matricule 2592. 





Fiche de prisonnier d'Auguste Laquenaire, avec la mention "gem", c'est-à-dire "gemeine", soldat, et son régiment; et le registre du camp de Merseburg sur lequel il est inscrit.


On voit Auguste et un camarade devant la cuisine, celle-ci étant très sale, des casseroles éparpillées dans l'évier, des boîtes de macaroni jetées par terre. Cela prouve qu'ils ont une hygiène de vie douteuse. Auguste était dans un camp avec des Russes et des Anglais.



Auguste Laquenaire (à gauche)

Auguste Laquenaire (à gauche, en sabots) avec ses camarades



Les photos de groupe envoyées à sa famille sont plus « strictes » que les photos montrant la vie du camp. Sur les photos de groupe, les soldats sont bien habillés, propres et dans un endroit sain tandis que sur les photos montrant la vie du camp, ils ne sont pas à leur avantage, ils sont dans un camp douteux au niveau de la propreté. Ils portent des sabots, ils ont un uniforme usé ou sont débraillés, et ils ont l'air moins heureux. Les prisonniers ont une plaque ovale portant leur matricule cousue sur le képi et une lettre de tissu sur leur veste (la lettre du baraquement ?).



Auguste Laquenaire (assis à droite) et ses camarades dont un Russe qui pose sa main sur son épaule


Auguste Laquenaire (debout, le 2ème en partant de la droite) et d'autres prisonniers





Une autre photo de groupe (avec deux cadrages différents) avec des soldats russes et un Anglais au centre. Auguste Laquenaire est assis (2ème en partant de la droite) et tient une pipe allemande.

Au verso de ces photos, Auguste Laquenaire a écrit « souvenir de captivité » et « mille bons baisers sur la bouche ».

Deux cartes spéciales bilingues (Français-Anglais) pour prisonniers de guerre, datées du 5 mars et 20 décembre 1917, décrivent, un peu, la vie au camp de Merseburg. Auguste prétend que tout a bien et qu’il est en bonne santé. Il donne une liste de ce qu’il a reçu (savon, végétaline) ou de ce dont il a besoin comme nourriture (café, chocolat, graisse, lard) ou affaires, et informe sa femme, Irma, qu’il a prêté de l’argent à un camarade, nommé Jeannequin, dont la famille, qui habitait visiblement près de Deneuvre, la remboursera.









Auguste Laquenaire fut libéré après le 11 novembre 1918 et c’est sa fille Yvette (Deneuvre, 21 décembre 1911 - Nancy, 15 août 2008) qui a rassemblé et gardé les cartes postales.



Lorraine BILICHTIN, Chloé CHARLES, Jayson DUPLAN, Axel HUGUET Seconde 04



Ces cartes de prisonniers de guerre montrent finalement une vision rassurante des camps en Allemagne : les soldats capturés sont bien traités et bénéficient de loisirs et des colis de leur famille. Nous savons que ce n’était pas toujours vrai (sauf pour les officiers) : certains camps avaient des conditions de vie insalubres et les prisonniers souffraient du froid, de la faim et de maladie comme le raconte Paul Cocho dans ses carnets publiés en 2011.

Portrait suivant: Eugène Guerre.