mercredi 21 décembre 2016

PORTRAITS DE SOLDATS DE LA GRANDE GUERRE (Troisième partie)

Émile, poilu d'Orient



Le reportage en Macédoine
d'un poilu secouriste avec son équipe
et leur chien.


Qu'est-ce qu'un Poilu d'Orient ?


C'est un soldat de l'armée française, qui a combattu pendant la Première Guerre Mondiale sur le front d'Orient, c’est-à-dire principalement les Balkans (Grèce, Macédoine, Serbie) entre 1915 et 1918, contre les Bulgares, les Austro - Hongrois et les Turcs. En effet, après l’échec de l’Expédition des Dardanelles contre les Turcs, Anglais et Français se replient, en janvier 1916, sur Salonique, en Grèce, qui devient un camp retranché. La Grèce, hésitante sur le choix à faire entre Alliés et Empire Centraux, bascule alors du côté des Alliés, ce qui mena à l’ouverture d’un nouveau front dans les Balkans.




Une carte pour suivre le voyage d'Emile (Alsace - Macédoine - Champagne). Geffroy, Léopold-Lacour, Lumet La France héroïque et ses alliés, Larousse, 1916.




Voici le portrait d’Émile, sa signature et ses camarades :


Un soldat français, nommé Emile, a laissé une liasse de photographies sur la Grande Guerre. Le problème, c’est qu’il n’a pas inscrit son nom sur les photos qui ne comportent que sa signature ! Nous avouons qu’elle n’est pas facile à lire ! Nous connaissons son prénom grâce à une carte postale écrite en 1922, adressée à son frère et à sa sœur qui habitaient aux Andelys, en Normandie. C’est tout ce que nous savons sur lui.


Emile en 1914, lorsqu'il servait dans le 23ème Régiment d'Infanterie


La signature d'Emile !


En 1914, Emile pose fièrement en uniforme, rêvant de reprendre l’Alsace et la Lorraine aux Allemands. En fait, il se retrouva brancardier !


Les camarades d'Emile en 1914, tous brancardiers - secouristes.

 
Son équipe s’appelait les «Kovny's en campagne» et cela date d'octobre 1914 lorsqu’il fit un séjour à Lyon, sans doute pour se former à sa mission. Nous avouons que nous ignorons ce que veut dire « Kovny » (cela signifie « métallifère » en tchèque).





Elle est composée de cinq poilus, portant chacun sur leur col l'insigne du service de santé des Armées, et d’un chien (pour renifler et trouver les personnes à secourir).


Voici maintenant le voyage d’Émile:


En avril 1915, Emile se trouvait aux portes de l'Alsace, à Lachapelle-sous-Rougement (Territoire de Belfort), où il vit le général Joffre passer les troupes en revue !






Ensuite, il fut envoyé sur le Front d'Orient, en Macédoine, où il prit, en 1916, une série de photos qu’il colla sur des cartes postales pour la correspondance militaire. A l'époque, la Macédoine n'était pas un Etat indépendant mais une région du nord de la Grèce partagée avec les Bulgares et les Serbes. Ces photos ne sont pas systématiquement datées et annotées.

Il s’est intéressé aux Macédoniens, qu’il appelle «Indigènes» car, pour lui, ils avaient sûrement un aspect exotique, ainsi qu'au camp établi par les Français près du village d'Aledia. On y voit la guerre mais depuis l’arrière, avec le regard d'un brancardier.


Sur cette image, nous pouvons observer une femme assez âgée, vêtue d'habits qui paraissent sales, déchirés. Elle porte une amphore sur son épaule gauche, elle semble très fatiguée avec le visage buriné et fripé. Cette femme est sûrement macédonienne.






Cette photo (prise à Grosdoliar (?) en janvier 1916) représente Emile le secouriste, tout souriant, accompagné de 10 jeunes filles, portant des vêtements traditionnels de Macédoine (foulards, robes à rayures). Elles ont l'air impressionnées, heureuses et sont pieds nus; cela justifie l’impression de pauvreté ainsi que la maison qui semble être en ruine qui se situe à droite du second plan.





La nouvelle équipe d’Emile, au repos, avec un chien qui a un dossard et un collier portant la croix rouge (il a bougé lorsque la photo a été prise d’où l’impression donnée qu’il a deux museaux !).



Il y a eu une remise de décorations pour certains soldats et un aumônier; à l'arrière-plan, on voit les brancardiers au garde-à-vous.





On peut voir des soldats français et italiens, et des gens du village qui chargent des ânes pour le ravitaillement. On remarque ces soldats grâce à leurs uniformes et leurs casques ou chapeaux. Les soldats français sur la droite sont encore équipés du casque colonial et l'un deux porte un large béret (c'est peut-être un chasseur alpin !). Les Italiens (à gauche) ont la coiffe à plumes ornée d'un aigle des "Alpini", les troupes de montagne. Tout semble se dérouler dans la bonne humeur, les soldats, goguenards, regardant les Macédoniens travailler... Au premier plan, sur la droite, un enfant porte un fez, coiffure d'origine ottomane.





Sur cette photo, nous pouvons voir une maison assez sommaire, qui tombe en ruine, habitée par une dizaine de brancardiers - secouristes. Une tente se trouve en face de la maison ce qui montre qu'ils étaient bien trop nombreux pour une seule habitation. Les soldats, dont certains sont équipés du casque Adrian, sont tranquillement installés.





Une famille macédonienne travaille durement sur ses champs. Les enfants sont en haillons et le plus jeune semble en mauvaise santé.





Les Macédoniens, chargés d'affaires, doivent quitter précipitamment leur village et emmener leur bétail. Ce sont surtout des vieillards accompagnés de leurs petits enfants. Ils fuient leur village car au nord les combats continuent. A l'arrière-plan, on voit le village dans lequel sont installés les Français. Le voyage est visiblement épuisant pour ces gens. Un homme s'est arrêté sur le bord de la route pour fumer une cigarette.





Emile a aussi photographié le village qu’il nomme Aledia, près duquel les soldats ont installé leur camp (K.I.H), en mai - juin 1916. On voit les tentes situées près d’une colline pelée ainsi que le village, entouré par des champs et des oliviers, duquel émerge un clocher (ou minaret ?) blanc. Ce village est composé de quelques maisons de pierre, assez clairsemées, au milieu desquelles on aperçoit des charrettes.



Le camp installé par les Français. Mai 1916.



Vue générale du village d'Aledia (?) en juin 1916.




La fin  du voyage: le retour en France


Emile termina son voyage en quittant la Macédoine, pour revenir en France, en 1918, principalement en Champagne puis en Alsace.


Toute l'équipe de retour en France. 



En Champagne, en juillet - août 1918, Emile prend des photos de ses camarades qui se reposent chez l’habitant ainsi que des vaches qui servent de repas aux soldats…


Au repos à Chamigny (Seine-et-Marne), non loin de l'Aisne, en juillet 1918


La fosse pour l'équarrissage !



Une carcasse de vache allant à l'équarrissage.



Deux vaches tournant une roue !


La cuisine du Groupe de Brancardiers de Corps (G.B.C.) au Camp des Normands en juin 1918



Cette photo, datant de juillet 1918, a été aussi prise par Emile à Dormans. C’est un pont détruit par les Allemands lors de la deuxième bataille de la Marne. Les Français ont décidé de construire un pont en bois qui remplace le précédent. Cela leur permet de relier les deux rives de la Marne.









Emile, et ses camarades du G.B.C. 3 (Groupe de Brancardiers de Corps n° 3), victorieux, entrent enfin en Alsace - Moselle en novembre 1918. Ils se retrouvent à Phalsbourg, en Moselle, puis ils traversent Minversheim en Alsace.


Les brancardiers traversent Phalsbourg en novembre 1918


Ils sont accueillis chaleureusement par des femmes "typiquement" alsaciennes; nous les reconnaissons facilement grâce à leur énorme nœud dans les cheveux et leurs tenues traditionnelles, ainsi que par les enfants qui agitent des drapeaux français. Un des brancardiers, nommé Cosson, de l'opéra de Nice, entonne alors la Marseillaise devant la foule enthousiaste.


Les Alsaciennes de Minversheim


"En Alsace - Novembre 1918. Les gosses de Minversheim"


Cosson, de l'opéra de Nice, entonne la Marseillaise devant les habitants de Minversheim.


Emile et ses camarades sont montés sur le socle d'une statue de l'empereur allemand Guillaume Ier en Alsace. En fait, il s'agissait d'une statue du prince Frédéric-Guillaume située à Woerth et qui fut détruite peu après. 




Emile a aussi acheté quelques cartes postales qui ont dû lui plaire : des enfants alsaciens et la Bertha de Chuignes, dans la Somme, où un enfant peut se loger dans la bouche d’un énorme canon allemand abandonné !







Finalement Emile est bien entré en Alsace comme il en rêvait en 1914 ! Il resta encore dans l’armée puisqu’il écrivit une carte postale à son frère et à sa sœur en 1922. Il servait alors dans une unité d'aérostiers à Versailles. Il affirme qu'on peut le voir parmi les soldats... Après, on ne sait pas ce qu’il est devenu… 






CONCLUSION


Le legs d'Emile, pour la mémoire de la Grande Guerre, sont ces photos prises en Macédoine et qui montrent un aspect peu connu des affrontements qui se déroulèrent dans les Balkans ainsi que la vie des Macédoniens mis brutalement au contact des soldats français. L'impression qui se dégage de ces photos est la pauvreté de la Macédoine, la vie très dure menée par ses habitants qui vivent désormais avec des Français, logés dans le village ou dans le camp voisin, non loin du front. Emile a trouvé les Macédoniens "exotiques" et a photographié leur quotidien et aussi leur participation à la guerre lorsqu'ils chargent leurs ânes pour ravitailler les soldats.


Chloé BERTRAND, Laurie CHRISTIAENS et Ardiana GUSANI 
Seconde 04



On peut voir toutes les photos prises par Emile en Alsace en novembre 1918 dans l'article du 4 juillet 2016 consacré à La Grande Guerre en 15 objets, n° 14, commentaire par Léa Mathieu et Camille Launois:

http://varoquaux-1916-2016.blogspot.fr/2016/07/la-grande-guerre-en-15-objets.html