EUGÈNE
GUERRE, SOLDAT ALLEMAND PUIS MAIRE DE LEZEY
L’histoire
d’Eugène Guerre est vraiment étonnante ! Mosellan, soldat allemand en
1914, il fut capturé par les Français et placé au camp de Lourdes où étaient
accueillis les Alsaciens-Mosellans avec un régime spécial. Il devint ensuite le
maire de sa commune, Lezey, en Moselle jusqu’en 1940.
Eugène
Guerre, prisonnier de guerre au camp d’Alsaciens-Mosellans de Lourdes en 1914-1918,
maire de Lezey, ici en 1939-1940.
A-
SON PORTRAIT
C’est
le livret de prisonnier Alsacien-Mosellan d’Eugène Guerre qui permet de tracer
son portrait et son parcours, hélas sans photo de lui à l’époque.
- DOMICILE
Eugène Guerre est né à Lezey, dans le département de la Moselle,
alors territoire allemand depuis 1871, le 31 janvier 1888 et il a vécu dans ce
même endroit en tant qu'agriculteur et maire de la commune. Il a été d’abord de
nationalité allemande, puis de nationalité française après 1918.
- FAMILLE
Son père était Joseph Guerre et sa mère Marie Godefroy; Eugène
était cultivateur, célibataire, et n'avait pas d'enfants à l'époque. Il était de religion
catholique.
- PORTRAIT PHYSIQUE
Eugène avait les cheveux bruns, les yeux gris / bleus, le nez
busqué, les sourcils clairs, le front haut, une petite bouche, un visage
allongé. Il
mesurait 1.74 mètres et avait une cicatrice dans le cou (une blessure de
guerre ?).
Eugène
Guerre est fait prisonnier le 22 octobre 1914 Chaulnes (dans la Somme).
Il était
alors soldat dans le 138ème Régiment d'Infanterie Allemande, 6ème
Compagnie, matricule 260. Ce régiment, basé à Dieuze, était composé de
Mosellans.
Son
livret permet de suivre son parcours en France, dans l’Indre notamment, en tant que
prisonnier :
- Il
est entré au Dépôt de Fontgombault (dans l’Indre) le 29 octobre 1914.
- Puis il est entré à l'Hôpital de Blanc le 25 décembre 1914 (était-il blessé car il avait une cicatrice au cou ?).
- Ensuite ce fut l'Hôpital Mixte d'Issoudun le 14 mars 1915.
- Finalement, il est entré au dépôt de Lourdes (camp spécial pour Alsaciens et Mosellans) le 24 octobre 1915, dans les Hautes-Pyrénées, plus d'un an après sa capture. C'est là qu'il reçut son livret de prisonnier avec le matricule n° 507.
B-
AU CAMP DE LOURDES
-
SES OBJETS
Son
livret n’indique aucun objet personnel pour Eugène Guerre. C’est le dépôt de
Lourdes qui lui remit des affaires. Il possédait deux tuniques, deux pantalons
de draps, deux coiffures, deux chemises, une paire de chaussures, une paire
d'espadrilles, deux pantalons de toile, un bourgeron de toile (une blouse de travail), une gamelle,
un quart, une cuillère, deux couvertures, une enveloppe de paillasse, un chapeau
de paille et une paire de sabots.
-
SON TRAVAIL
Il
a travaillé du 1er août 1917 au 30 novembre 1918, en gagnant, pour la plupart du temps, 1 franc
par jour, mais il n'y a aucune information sur sa tâche. Ce travail lui a permis de gagner un peu
d’argent de poche.
-
LA VIE AU CAMP
Eugène
Guerre, qui curieusement est passé caporal, a gardé des menus de repas de fêtes ainsi que des programmes de
festivités qui se déroulaient au camp, qui se trouvait au fort de Lourdes, c'est-à-dire au château-fort qui avait repris une activité militaire sous le commandement du capitaine Paul Carrier. Cela nous permet de voir la vie dans ce camp.
Annonce du concert du 25 décembre 1916 à Lourdes. On voit une Alsacienne et une Lorraine tirer un rideau derrière lequel apparaît le château-fort de Lourdes. |
Cérémonie religieuse à Lourdes au profit des prisonniers de guerre Alsaciens et Mosellans le 16 février 1917. Un petit ruban tricolore est inséré dans la feuille. |
La Fête Nationale du 14 juillet 1917 au dépôt de Lourdes |
Menu de la Fête de la Victoire le 12 décembre 1918 |
Au
camp, il y avait souvent de grands repas avec de la musique pour fêter les
victoires ou les jours symboliques : Fête Nationale du 14 juillet 1917, de 1918, Fête de la victoire du 12 décembre 1918. Des menus ou des programmes, décorés de symboles républicains et d'ornements, étaient imprimés (au stencil).
Les
repas étaient copieux et portaient le nom de grands chefs de guerre
alliés : Pommes Pétain, Consommé Wilson, Jambon
à la Maréchal Haig, Tartes Kerensky… Pour la fête de la Victoire de 1918, les appellations des plats font allusion à l'Alsace et à la Lorraine (saucisson de Strasbourg, confiture de Nancy ...) ou tournent le Kaiser en ridicule (Hure de Guillaume à la Bolchevik).
Les
chansons et les airs joués faisaient aussi référence à des grands événements et
avaient pour but de soutenir le patriotisme des prisonniers qui allaient
redevenir Français : La Marseillaise,
la Brabançonne (l’hymne belge !), l'Hymne Russe. Le programme musical est un mélange de musique
militaire, d’airs d’opéra, de solos instrumentaux, de « comique troupier », de chants
béarnais chantés par les soldats locaux qui gardaient les prisonniers mais
aussi de tirades en alsacien afin de contenter tout le monde !
|
Menu et programme musical (vue générale et détail du texte) du 14 juillet 1918. Le document est décoré par le coq français terrassant l'aigle allemand. |
Il y avait aussi des conférences (dont une sur une voyante…) et des
saynètes jouées par les soldats ou les prisonniers qui étaient aussi musiciens…
Visiblement, les Alsaciens-Mosellans du camp avaient un régime de faveur. En effet, ils devaient redevenir Français après la victoire sur l'Allemagne et ils étaient considérés déjà comme tels durant leur captivité: les associer aux fêtes et cérémonies patriotiques montrait bien leur réintégration dans la citoyenneté française et l'abandon de leur citoyenneté allemande.
Visiblement, les Alsaciens-Mosellans du camp avaient un régime de faveur. En effet, ils devaient redevenir Français après la victoire sur l'Allemagne et ils étaient considérés déjà comme tels durant leur captivité: les associer aux fêtes et cérémonies patriotiques montrait bien leur réintégration dans la citoyenneté française et l'abandon de leur citoyenneté allemande.
C-
LE MAIRE DE LEZEY EN MOSELLE
Eugène
Guerre dut rester au camp de Lourdes jusqu’à la fin de 1918 puisqu’il a gardé
un menu pour la Fête de la Victoire célébrée le 12 décembre 1918. Il retourna
ensuite à Lezey, la Moselle étant redevenue française. Un document trouvé sur
le site Gallica, le n° 46 de la revue Ligue Française de juin 1920, mentionne
Eugène Guerre comme maire de Lezey et président de cette Ligue, qui visait à
redresser l’agriculture française, pour Lezey-Juvelize et Bezange-la-Petite. Il
a donc été élu maire en 1919 et, en tant que cultivateur, il s’est impliqué
dans les questions agraires. Il se maria aussi car l'Est Républicain du lundi 26 avril 1937 mentionne, dans un faire-part, monsieur et madame Eugène Guerre et leurs enfants, ainsi que mademoiselle Céline Guerre dont nous ignorons le lien de parenté avec Eugène.
Plainte de monsieur Bartassot, chef des travaux à Lezey, auprès d'Eugène Guerre, maire de Lezey, au sujet d'une lettre anonyme. 24 février 1920. |
Les
autres documents permettent de retrouver Eugène Guerre en 1939-1940, toujours
maire de Lezey. Avec la déclaration de guerre à l’Allemagne le 3 septembre
1939, Eugène Guerre dut s’occuper de tâches d’ordre militaire. Il reçut deux permis militaires pour circuler dans la zone voisine de Lezey (avec une photo,
la seule trouvée dans ses papiers) et il procéda à la répartition de soldats
chez les habitants de Lezey : sans doute pour donner l’exemple, il en prit
12 chez lui !
Les deux permis d'Eugène Guerre |
Deux des billets de logement établis par Eugène Guerre en septembre 1939. On remarquera que le formulaire est bilingue français - mosellan. |
Enfin,
après la défaite et l’annexion de la Moselle, Eugène Guerre et sa famille
quittèrent le village. Le 26 septembre 1940, il reçoit des Allemands un
ausweis, valable un mois, lui permettant de franchir la frontière de 1871 pour
« visite » ; puis le 18 novembre 1940, un document allemand
signale que lui et sa famille ont été « déplacés ».
Ausweis du 26 septembre 1940 autorisant Eugène Guerre à franchir la frontière de 1871 |
Document allemand du 18 novembre 1940 constatant le "déplacement" d'Eugène Guerre et de sa famille. |
Eugène Guerre dut
se réfugier à Maréville près de Nancy, en Meurthe-et-Moselle car sa carte
d’électeur, perdue, lui fut rendue par le Service des Réfugiés via le maire de
Maréville le 24 mai 1943.
Eugène
Guerre revint à Lezey à la Libération mais la situation semble avoir évolué difficilement
pour lui : une lettre anonyme, appelant les électeurs de Lezey aux urnes
le 30 septembre 1945, demande à ces électeurs de ne pas voter pour Eugène Guerre,
jugé égoïste, hypocrite, accapareur, fauteur de troubles…
Lettre anonyme critiquant Eugène Guerre en septembre 1945 |
Nous
ignorons ce qui arriva par la suite…
Eugène
Guerre eut donc un destin extraordinaire, ballotté entre l’Allemagne et la
France comme bien des Mosellans, soldat allemand redevenu Français et maire de
sa commune qu’il dut quitter en 1940 pour ne la retrouver qu’en 1945.
Apolline BOOB, Sara DRIOUCH, Lisa GATTO et Sarah LACOUTURE
Seconde 04
Seconde 04
Article suivant: Emile, poilu d'Orient.