Cette année, le travail de mémoire concernant la Grande Guerre se poursuit au lycée Arthur Varoquaux avec des travaux nouveaux, destinés à présenter le destin de plusieurs Poilus. Les élèves de la Seconde 04 ont étudié des documents divers comme des photos, livrets militaires, papiers administratifs afin de reconstituer la vie de ces soldats.
"Les cavaliers sans chevaux": le 17ème régiment de dragons à la fin de 1914
Il
s'agit ici d'un groupe de 39 « cavaliers », comme on peut le voir sur
cette photographie prise le 1er décembre
1914 à Auxonne en Côte d'Or (entre Dijon et Besançon), très probablement dans
une caserne, car on aperçoit une salle de manège derrière les soldats.
Pourtant, ils ne se déplacent visiblement plus à cheval : en effet ces soldats
doivent désormais combattre dans les tranchées car le front vient de se
stabiliser de la Mer du Nord à la frontière suisse.
Ils
appartiennent, comme l'indique la légende écrite au verso de la carte, au 17ème
régiment de dragons (on peut le voir sur le numéro porté sur les vêtements et
le képi du personnage central), 11ème escadron territorial, 4ème peloton.
L'arme utilisée par ces « cavaliers » est un mousqueton Berthier
modèle 1892. A l'origine, les dragons se déplaçaient à cheval et étaient armés
aussi d'une épée et d'une lance.
Un dragon à la veille de la Grande Guerre. Carte postale écrite en 1910 (collection particulière). |
La
personne centrale est l'officier, le capitaine Margot-Duclos (ici avec les
galons de lieutenant). Ces « cavaliers sans chevaux » sont équipés à
neuf avec des uniformes propres semblables à ceux de l'infanterie, avec un képi
et non plus un casque métallique, et ils posent fièrement avec leurs
mousquetons Berthier luisants, derniers vestiges de leur équipement de cavalerie.
Le régiment a participé à la bataille de la Marne en septembre 1914, désormais
ce sont les tranchées qui attendent les dragons...
Jérémy COLIN et Hugo LEDERMAN S 04
Camille, caporal au 42ème R.I., donne de ses nouvelles (1915)
Camille
était un caporal au 42ème Régiment d'Infanterie. On ignore son nom car il n'a signé qu'avec son prénom. Il opérait sur le
front en première et deuxième lignes, espacées de 300 mètres. Il envoya de ses
nouvelles à sa famille le 16 juillet 1915 depuis Toul, avec une photo de lui et
de ses camarades, avec, au recto, un long texte racontant la guerre. Ce texte comprend deux parties: une sur la guerre, une sur les aspects économiques de la période.
Il
explique qu'il est caporal d'ordinaire maintenant, et qu'il est donc chargé du
ravitaillement. Il raconte que son travail consiste à partir vers minuit pour
arriver dans les tranchées à deux heures du matin, pour faire les distributions
de nourriture à l'aide d'une cuisine roulante. Lui et son équipe rentrent à
cinq heures. Ce métier est dur car il représente 3 nuits consécutives sans
dormir, mais c'est moins dangereux que le service actif, car ils sont en dehors
de la zone en vue des Allemands. Normalement il devait tenir ce poste encore
pendant un mois mais il espère être repris pour effectuer cette tâche.
Il
remercie aussi ses proches de s’occuper de ses champs en son absence, alors que la main d'oeuvre est rare. Il
termine en mentionnant son inquiétude envers le manque probable de nourriture;
en effet ils doivent tout payer plus cher car les denrées se font rares en raison de la sécheresse. Par
contre, dans sa cuisine roulante, il ne manque de rien car l’approvisionnement
est bon, surtout en légumes. Il
termine en leur disant qu'il se voit vieillir car ses cheveux blanchissent, et qu'il espère revoir ses proches dans de meilleures circonstances.
Sur
la photo on voit Camille et une partie de son régiment. On repère Camille (debout, le quatrième en partant de la gauche) grâce
au grade qu'il s'est lui même dessiné sur la manche, ce qui prouve que la photo
a été prise quelque temps avant l'écriture de la lettre.
On
peut remarquer le numéro du 42ème Régiment d'Infanterie inscrit sur leurs cols. Un des soldats est équipé d'un fusil. Tous ont une barbe ou une moustache. La plupart fument; on peut également voir un
cuisinier poser avec eux, facilement repérable grâce à son tablier. La tenue de
certains soldats est un peu négligée; leur regard est souvent dur et on
sent qu’ils ont souffert.
La
photo a été prise au début du printemps 1915 car les arbres sont dépourvus de
feuilles et celles-ci ne sont pas par terre ; de plus le sol est boueux. Le 42ème Régiment d'Infanterie combattait alors dans l'Aisne.
Transcription du texte:
Toul, le 16 juillet 1915.
Chers Félix, Constance et ces
Demoiselles,
J’ai bien reçu la lettre de la
« j’allais dire gosse », mais je me reprends car je réfléchis que
celle qui était encore la gosse est sûrement devenue une grande demoiselle
depuis plus d’un an que je ne l’ai vue ; elle a certainement fait des
progrès en âge et en sagesse. Si je ne vous ai pas répondu plus tôt, c’est que
je tenais à vous envoyer un groupe de camarades dans lequel je me trouve. Je
suis sûr que vous éprouverez quelques difficultés à me reconnaître.
J’ai peu de nouveau à vous
annoncer ; nous sommes toujours sur le front en première et deuxième
ligne, la deuxième se trouve à environ 300 m. de la première et ne vaut donc
pas beaucoup mieux.
Il est vrai que pour mon compte
voilà 3 semaines que je n’y [ai] pas mis les pieds, je suis caporal
d’ordinaire. Félix sait ce que c’est ; je suis donc chargé du
ravitaillement.
Lorsque la compagnie est aux
tranchées, je vais la nuit faire mes distributions avec une cuisine
roulante ; nous partons à minuit, pour arriver vers deux heures du matin
et nous sommes généralement rentrés à 5 heures ; le métier est assez dur
car cela représente 3 nuits consécutives sans dormir mais il est moins
dangereux que le service actif car nous quittons la zone dangereuse en vue des
Allemands avant le lever du soleil. Je dois tenir ce poste pendant un mois
seulement mais si je suis rembailler [repris], je n’hésiterai pas à faire le
nécessaire, d’autant plus que je ne mange plus avec les hommes ; nous
faisons cuisine à part avec tout le personnel du bureau et contrairement au
proverbe, moins on est, mieux on se plait.
Je vous remercie beaucoup du mal
que vous vous êtes donné pour mes champs, heureusement que le soleil vous a
aidé car les bras doivent être rare [sic] là-bas comme partout.
Par ici, la sécheresse fait aussi
beaucoup souffrir les denrées ; on paye tout très cher, le lait 6 sous,
les œufs 2 f. la douzaine, un mauvais chien de salade 6 sous. Nous sommes cependant
assez bien nourris ; depuis quinze jours nous recevons des pommes de terre
nouvelles, des carottes en bottes, des oignons et des choux, mais tout cela ne
nous empêche pas de trouver le temps bien longs [sic] ; j’ai remarqué
l’autre jour des filaments dans mes cheveux. Si je rentre lorsque la guerre
sera finie, j’aurai dix ans de plus. On parle de permissions, mais mon tour ne
peut pas venir avant deux ou trois mois, alors je n’y compte guère.
En attendant de meilleurs jours, je
vous quitte en vous embrassant tous,
CAMILLE
Umutcan ASLAN, Corentin BOSSU, Robin GOUVENEL Seconde 04
La haine de l'ennemi: "les sales boches"
Jeffrey IUNG, Seconde 04
La haine de l'ennemi: "les sales boches"
Un
soldat français traite les Allemands de « sales boches » lors de sa
« Campagne 1914-15-16 », nom qu’il donne à la Grande Guerre.
Léon
Thiriet écrit à sa fille, Hélène Thiriet, qui était alors avec sa mère à
Corcieux dans les Vosges, le dimanche 2 janvier 1916.
Il
dit dans cette carte postale, comportant de nombreuses fautes d'orthographe, qu'il est pressé
de revoir sa fille en 1916, car il n'a pu la voir qu'une seule fois en 1915
lors d'une permission. Tout en présentant ses vœux pour la nouvelle année, il
montre son affection pour sa fille qu'il veut serrer dans ses bras.
Mais
le recto de la carte a un ton agressif: le monument de Passavant-en Argonne, dans
la Marne, consacré à la mémoire de 49 soldats français assassinés par les Allemands
en août 1870 a été mutilé. Cela rend furieux Léon Thiriet qui devait se trouver
non loin de là ! Il estime qu'il s'agit d'une deuxième mort pour les
victimes car la statue a été décapitée par les Allemands, ce qui, pour lui,
fait une cinquantième victime, « une fantaisie des barbares » que sont les « sales boches ».
Après
vérification sur le site Mémoire des Hommes, nous savons que Léon Thiriet a
survécu a la guerre et il a dû retrouver sa fille à Corcieux. La carte écrite
par ce soldat présente un grand contraste entre l’affection pour sa fille et la
haine affichée à l’égard des Allemands.
Jeffrey IUNG, Seconde 04
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