lundi 13 avril 2020

LE CAPITAINE GABRIEL DEHAYE, HEROS DU 69è R.I.

LE CAPITAINE GABRIEL DEHAYE, HEROS DU 69è R.I.
1884 - 1971



La carrière du capitaine Gabriel Dehaye, originaire de Nancy, peut être retracée grâce à des documents retrouvés une fois encore dans une brocante. Il s'agit d'un lot de papiers et de photos qui permettent d'entrevoir le rôle joué par cet officier au sein de son unité, le 69ème Régiment d'Infanterie. On peut compléter ces informations avec celles données par le site Geneanet (sur les ascendants), par le registre matricule du bureau de Nancy-Toul pour 1904, et par l'historique du 69ème R.I., consulté sur le site Gallica, qui mentionne le capitaine lors des derniers combats de novembre 1918 sur l'Escaut. Les numéros de la presse locale, numérisés sur le site Limédia Kiosque, évoquent aussi Gabriel Dehaye dans plusieurs articles.

Bien entendu, le dossier militaire, conservé au Service Historique de la Défense à Vincennes, contient des informations que nous rajouterons ici lorsque nous aurons l'occasion de le consulter.

L'identification de cet officier n'a pas posé de problème grâce à sa carte de combattant, comportant une photo d'identité, où figurait aussi son état civil.




La Grande Guerre au sein du 69ème R.I.

Gabriel Edmond Dehaye est né à Nancy, en Meurthe-et-Moselle, le 20 mai 1884. Il était le fils de Joseph Emile Dehaye (1858 - 1946), qui était fabricant de bonneterie, et de Barbe Zimmermann (1851 - 1895). Ses parents étaient assez riches car Gabriel Dehaye dirigea plus tard une filature (coton, laine, soie) à Nancy appelée "les établissements Dehaye - Zimmermann" situés 30 rue Molitor à Nancy. Il fut donc à la fois capitaine d'infanterie et capitaine d'industrie ! 
Il avait quatre frères (dont un mort en bas âge en 1883) et trois soeurs, plus une demi-soeur car son père se remaria en 1906 avec une nommée Annette Fonck.

Gabriel Dehaye fut étudiant aux Beaux-Arts puis il dut faire son service militaire en 1905 selon le registre matricule, qui reste peu détaillé sur ce point. On y apprend qu'il mesurait 1 m 69 cm.


C'est une petite fiche qui résume son parcours militaire car Gabriel Dehaye visiblement prit goût à l'armée et s'engagea dans le 69ème R.I.


Caporal le 1er octobre 1907, il passa sergent le 1er octobre 1910, grade qu'il avait encore lorsque la guerre éclata le 2 août 1914. 
Ensuite, on constate qu'il devint assez rapidement officier : sous-lieutenant le 17 mai 1915, lieutenant à titre temporaire (T.T.) le 19 avril 1916 (on en trouve la mention dans le J.O. du 30 avril 1916, page 3722), puis à titre définitif (T.D.) le 5 juillet 1916 avant de devenir capitaine le 3 septembre 1918 (3 août  1918 selon le Journal des Marches et Opérations du 69ème R.I.); grade qu'il conserva par la suite. Cette progression assez rapide était liée aux lourdes pertes parmi les officiers et donc aux besoins de nouveaux cadres, mais aussi à la bravoure au combat. C'est un phénomène déjà constaté dans certaines biographies publiées sur ce site.

Nos documents ne contiennent pas des informations sur toutes les batailles auxquelles il prit part mais il fit la guerre du 2 août 1914 au 12 mai 1919, date de sa démobilisation, dans le même régiment. Nous verrons plus loin qu'il participa à la bataille de la Somme en 1916 (à Curlu) et à la bataille de l'Aisne en juillet 1918 (à Amblény) car son témoignage fut demandé pour établir les circonstances de la mort de certains soldats lors de ces opérations, ou pour attribuer une décoration.

Gabriel Dehaye, sous-lieutenant au 69ème R.I., avec son sabre.

Si l'on suit l'historique du 69ème R.I., on peut établir une chronologie sommaire des combats :

- En août et septembre 1914, le régiment participa à la bataille de Morhange et à celle du Grand Couronné près de Nancy, puis il fit la "Course à la Mer" en remontant vers le nord du Pays (dans la Somme) puis en entrant en Belgique où il combattit près d'Ypres jusqu'en mai 1915.

- L'année 1915 fut marquée par la Bataille d'Artois d'avril à juin 1915 dans le secteur de Neuville-Saint-Vaast, et par l'offensive de Champagne à partir de septembre (secteur de Beauséjour).

- En 1916, ce fut Verdun en mars - avril 1916 (secteur de Malancourt) puis la Somme de juillet à novembre 1916 (secteur de Curlu - Maurepas).

- 1917: secteur de Lunéville jusqu'en mars, puis le Chemin des Dames en avril - mai 1917 , puis la Lorraine dans le secteur de Flirey.

- 1918 : retour à Verdun (janvier - mars 1918) puis la bataille du Matz et la contre-offensive de l'Aisne à partir de juillet, et le retour en Belgique avec le franchissement de l'Escaut en novembre 1918.

De ces combats, il reste d'abord une série de photos, dont une seule est datée, où l'on voit Gabriel Dehaye avec des camarades du 69ème R.I., à pied, à cheval, en voiture. 


La Compagnie Hors Rang (chargée des travaux) du 69ème R.I. en 1914. Ici, c'est la forge.

Gabriel Dehaye, à gauche, décoré de la croix de guerre, avec deux citations.

Gabriel Dehaye, à gauche, avec un camarade.


Gabriel Dehaye, barbu et en uniforme sombre, à cheval !

En voiture ... Gabriel Dehaye, désormais lieutenant, est à droite, souriant.

Gabriel Dehaye, au milieu, en haut d'une cathédrale, sans doute fin 1918, car il porte les 3 barrettes de capitaine.


Gabriel Dehaye, devenu capitaine le 3 août 1918, termina la guerre avec la croix de guerre ornée de cinq citations, dont une à l'ordre de l'armée (avec une palme sur le ruban). A défaut du livret militaire, il était possible de retrouver les faits d'armes du capitaine grâce au Journal des Marches et Opérations (JMO) du 69ème R.I., rédigé de façon très détaillée et mis en ligne sur le site Mémoire des Hommes. 

Nous avons pu retrouver trois des cinq citations de Gabriel Dehaye, en sachant que le JMO est beaucoup moins précis à partir de la fin de 1917, que le carnet de janvier - juin 1918 est manquant, et que la suite, pour juillet - décembre 1918, est aussi rédigée de façon plus lapidaire avec seulement la mention des citations à l'ordre de l'armée, alors que pour 1915 - début 1917, toutes les citations de niveau inférieur (régiment, brigade, division, Corps d'Armée) sont scrupuleusement reportées. Il est aussi possible de retrouver les citations à l'ordre de l'armée dans le Journal Officiel de la République Française (sur le site Gallica), ainsi que les attributions de la légion d'honneur et de la médaille militaire, mais là encore, il faut "éplucher" le document page par page. 

- Le 3 juin 1915, après la bataille d'Artois dans le secteur du Labyrinthe, Gabriel Dehaye fut cité à l'ordre de la division (ordre n° 22,  ordre du régiment n° 196), mais pour un acte héroïque datant de la Bataille de Morhange le 20 août 1914 :


Dehaye Gabriel Sergent 4è Compagnie 69è RI Infanterie :
"Le 20 août, ayant vu son chef de bataillon mortellement atteint, en traversant une zône battue par les feux de l'ennemi, s'est élancé auprès de lui pour lui prendre des mains l'ordre qu'il venait de recevoir et l'a porté à son commandant de compagnie. A été jusqu'à ce jour un exemple de courage et d'entrain". Signé : Pesme.


- Ensuite, ce fut après la bataille de Champagne, dans le secteur de la butte du Mesnil, que Gabriel Dehaye reçut une citation à l'ordre de la brigade le 22 octobre 1915 (ordre de la brigade n° 22, ordre du régiment n° 320):


Dehaye Gabriel sous-lieutenant 4è Compagnie 69è RI - Le 26 septembre 1915, malgré plusieurs contre attaques allemandes, a maintenu énergiquement sa compagnie sur les positions conquises, facilitant ainsi la progression d'un bataillon de soutien.

Mais ce fut en Belgique, les 8 et 9 novembre 1918, que le capitaine Gabriel Dehaye accomplit son plus grand exploit militaire, pour lequel il est nommément cité dans l'historique du 69ème R.I. publié après la guerre. Dans la nuit du 8 au 9 novembre 1918, le régiment commença le franchissement de l'Escaut sous les feux nourris des Allemands. Gabriel Dehaye, qui commandait les 5ème et 10ème compagnies, composées de mitrailleurs, passa, avec d'autres unités sur la rive est. Mais c'est lui, qui, ayant pris le commandement de toutes les unités, réussit à tenir la tête de pont, malgré les bombardements et les attaques des Allemands, en attendant la relève des grenadiers belges.


Carte du JMO du 69ème R.I. montrant le franchissement de l'Escaut, près de Semmerzake, les 8 et 9 novembre 1918.


Le 11 décembre 1918, il fut donc cité à l'ordre de la VIème Armée Française (avec deux lieutenants) :




Le JMO du 69ème R.I. donne aussi ses promotions de grade (qui correspondent à la fiche individuelle) ainsi que ses commandements dans diverses compagnies, notamment des compagnies de mitrailleurs en 1918. Un fait important peut être souligné : le 21 juillet 1918, alors que les compagnies du régiment se trouvaient dans des "creuttes" (des carrières) à Saconin dans l'Aisne, Gabriel Dehaye fut évacué sans que la raison soit indiquée (peut être à cause des gaz utilisés abondamment par les Allemands) et il ne revint dans son unité que le 30 septembre 1918.

Le capitaine Gabriel Dehaye reçut aussi la croix de guerre belge en août 1920.


Gabriel Dehaye en 1920.

La croix de guerre avec 5 citations (curieusement avec les dates et non la Marianne à l'avers) , à gauche, et la croix de guerre belge à droite.


Le bordereau d'envoi de la décoration belge...

... curieusement imprimé au verso d'une autorisation du 69ème R.I. de porter le ruban de la Médaille Interalliée de la Victoire.

Enfin, Gabriel Dehaye fut décoré de la légion d'honneur par arrêté ministériel du 4 décembre 1920. Son dossier complet est conservé à Fontainebleau et il peut être consulté sur internet sur la base Leonore.



L'annonce de cette attribution, avec des félicitations, fut publiée dans l'Est Républicain du 15 décembre 1920, page 2 :

"Excellent officier, qui a fait preuve au cours de la campagne des plus belles qualités militaires et d'un esprit de devoir très élevé. Superbe attitude au feu. Cinq citations dont une à l'ordre de l'armée".



Une après-guerre très active.

Selon les documents retrouvés en brocante, Gabriel Dehaye s'occupa de la filature familiale en s'informant de la situation économique, peu florissante après 1918 - 1919, et du cours des matières premières. 


Gabriel Dehaye chez lui à Nancy.


Toujours capitaine au 69ème R.I., bien que passé dans la réserve (J.O. du 23 juin 1921), il fut très actif dans le domaine militaire, sous plusieurs aspects :

A - Un témoin de la Grande Guerre.

Le capitaine Dehaye dut fournir son témoignage sur les circonstances de la mort de certains camarades de combat, ou sur leurs actions d'éclat afin qu'ils reçoivent une décoration.


Demande de renseignements sur la mort du soldat Raymond Souillé, décédé à l'hôpital de Lunéville le 27 février 1917 suite à des blessures de guerre. Le 69ème R.I. se trouvait entre Lunéville et Bénaménil depuis le 9 février 1917, pour renforcer le secteur.

Demande de renseignements sur la conduite au combat du sergent Auguste Departout, blessé à Curlu (Somme) le 6 juillet 1916 afin qu'il obtienne une décoration. Imprimé au verso d'une autorisation de porter la médaille interalliée de la Victoire.

Ici, le capitaine Dehaye est prié de donner à la veuve du sous-lieutenant Roth (préfet du Morbihan qui avait voulu rejoindre le 69ème R.I., voir l'historique du 69ème R.I. page 23) des détails sur la mort de celui-ci à Curlu en juillet 1916.


Encore une demande de renseignements, cette fois pour l'attribution d'une décoration destinée au canonnier Jean Berger, du 69ème R.I., blessé à Ambleny (Aisne) le 18 juillet 1918, et qui était sous les ordres de Gabriel Dehaye.

B - Un meneur d'hommes.

Le capitaine Dehaye s'occupa aussi activement de la préparation militaire pour l'infanterie dans les années 1920 - 1930 et il reçut en 1932 des félicitations du Ministère de la Guerre pour son dévouement.


La lettre de félicitations




Titre de transport utilisé par Gabriel Dehaye





Gabriel Dehaye resta aussi un très bon tireur qui participait à des concours de tir, à Nancy, au stand du Grémillon, au sein de la Société de Tir de Nancy; concours dans lesquels il était toujours très bien classé (L'Est Républicain du 10 septembre 1930, page 4, par exemple, mais ses scores au tir sont évoqués dans plusieurs autres numéros). Il était considéré comme un des meilleurs tireurs du "Ralliement" (L'Est Républicain du 11 juin 1923, page 3).

C - Le vice-président du "Ralliement".

Les combattants du 69ème R.I. avait fondé une association patriotique, sous la forme d'une amicale nommée "le Ralliement", avec ceux des 269ème R.I. et du 42ème R.I.T. et Gabriel Dehaye en eut la vice-présidence. Cette amicale avait pour missions de resserrer les liens de camaraderie, d'évoquer les souvenirs de guerre, et d'assurer aux membres un appui moral et pécuniaire en cas de besoin (L'Est Républicain du 24 janvier 1920, page 3, qui évoque un banquet à la Brasserie des Dom). 



Il participa ainsi à des banquets comme celui du 12 mars 1939, pour lequel il y a un (très copieux) menu de conservé :



Il dut aussi participer aux cérémonies patriotiques notamment au Cimetière du Sud à Nancy où se trouve le monument du 69ème R.I. (photos prises en 2019).








D - Toujours un officier, de réserve cette fois.

Le capitaine Dehaye pouvait toujours être mobilisé et il reçut plusieurs documents à ce sujet, notamment un ordre de mobilisation accompagné d'un ordre de réquisition (18 février 1932).




Gabriel Dehaye devait être mobilisé dans son usine, et mettre sa production au service du Ministère de la Guerre.







Le capitaine Gabriel Dehaye fut radié des cadres de l'armée le 8 janvier 1941.

Nous ne savons presque rien de sa vie privée. Il se maria le 23 août 1919 à Landerneau, dans le Finistère, avec Yvonne Marie Charlotte Pallier (voir le Journal de la Meurthe et des Vosges, du 17 août 1919, page 3), sans profession, qui donna naissance à un fils, Jean, né le 8 mai 1920, scolarisé en 1937 aux établissements Jamet - Buffereau, 13 rue Saint-Léon à Nancy.

Gabriel Dehaye mourut le 1er décembre 1971 à Nancy, au 37 rue de la Source, comme il est porté sur son dossier de la légion d'honneur.

Il reste un symbole des combats du 69ème R.I. durant la guerre de 14 - 18 et sa vie montre un engagement constant dans l'armée et dans les activités patriotiques.


Jérôme Janczukiewicz

dimanche 5 janvier 2020

L'ALSACE - MOSELLE DE 1918 A NOS JOURS. Entre France, Allemagne et intégration européenne

L'Alsace - Moselle de 1918 à nos jours. Entre France, Allemagne et intégration européenne.

Nous proposons ici la suite et la fin du projet mené depuis l'année dernière sur la question de l'Alsace-Moselle. Nous avions quitté l'étude sur le retour de l'Alsace-Moselle à la France en 1918. Une nouvelle sortie a été organisée le 19 novembre 2019 au Mémorial de Schirmeck et au Parlement Européen de Strasbourg avec les élèves de TL et des étudiantes de BTS.

Le Mémorial de Schirmeck.

Le mémorial est aussi un lieu de mémoire car Schirmeck se trouvait près de la "route des passeurs" prise par les réfractaires alsaciens qui refusaient la nazification, et un camp d'internement y avait été construit pour punir ces mêmes réfractaires.

Les élèves et étudiantes ont été véritablement immergés dans l'Histoire grâce à des salles conçues de façon thématique. Deux guides, dont mademoiselle Marie Labouré, ancienne élève du lycée Arthur Varoquaux, ont présenté, de façon très agréable et érudite, les principaux aspects de cette histoire.

- La salle des portraits présente les visages de nombreux alsaciens-mosellans qui ont changé plusieurs fois de nationalité entre 1871 et 1945. Avec le traité de Francfort du 10 mai 1871, puis l'Armistice du 11 novembre 1918, la défaite de la France en juin 1940, puis la reconquête en 1944-1945, l'Alsace et la Moselle ont été un enjeu important entre la France et l'Allemagne avec des populations qui ont changé de nationalité à chaque fois. 




Il faut toutefois distinguer la période 1871 - 1918, au cours de laquelle un traité a cédé ces territoires à l'Allemagne, avec des habitants ayant le choix entre le départ ou l'acquisition de la citoyenneté allemande (l'option), et la période 1940 - 1944 / 1945 où l'Alsace-Moselle a été annexée de force par l'Allemagne sans aucun traité. Les habitants ne furent donc jamais allemands selon le droit international même si le IIIème Reich imposa la citoyenneté allemande, à partir de 1942, à ceux qui étaient aptes à servir dans l'armée allemande et aux membres de leur famille, sur des critères ethniques. Un Alsacien, engagé dans l'armée de de Gaulle et prisonnier de guerre, était considéré comme un Français et non comme un Allemand par la justice militaire allemande... 

- Lorsque la guerre fut déclarée à l'Allemagne le 3 septembre 1939, la gouvernement français décida d'évacuer les zones frontières pour éviter de nouvelles souffrances à la population civile: ce fut le plan "Pas-de-Calais" au cours duquel 600 000 personnes furent rapidement évacuées par trains vers le Sud-Ouest de la France. Ces Alsaciens-Mosellans furent logés chez les habitants qui, dans les premiers temps, n'appréciaient pas ces gens qui parlaient souvent un dialecte germanique ... Mais finalement, grâce au travail agricole dans les fermes, les relations se réchauffèrent entre locaux et gens de l'Est. Il y eut des mariages et les relations perdurèrent au-delà de la guerre.







Les élèves ont donc pris aussi le train pour revivre ces événements !

L'armée française, quant à elle, se retrancha dans la Ligne Maginot, composée d'ouvrages bétonnés qui s'égrenaient le long de la frontière, des Ardennes à la frontière suisse. 





- Après la défaite de la France en juin 1940, les Allemands décidèrent d'annexer l'Alsace-Moselle en suivant les frontières de 1871, sans qu'aucun traité ne soit signé avec la France. La seconde annexion est donc un coup de force, un état de fait qui ne figure pas dans les clauses de l'armistice du 22 juin 1940. A partir de juillet - août 1940, les Allemands commencèrent à germaniser et à nazifier l'Alsace-Moselle alors que 500 000 évacués de 1939 revenaient chez eux. Ils trouvèrent la région totalement changée !




Tout d'abord, l'Alsace-Moselle ne forma pas un territoire uni comme le Reichsland de 1871 - 1918. La Moselle fut rattachée au gau (province nazie) de Westmark (avec la Sarre) et dirigée par le gauleiter Josef Bürckel tandis que l'Alsace fut rattachée au Oberrhein et dirigée par le gauleiter Robert Wagner.

De nombreux "indésirables" furent expulsés : Juifs, étrangers, francophones ... La Moselle perdit 100 000 habitants; l'Alsace 35 000 ...

La germanisation fut implacable: les rues furent débaptisées et renommées en hommage au Führer ou au IIIème Reich; l'usage du français fut totalement interdit, même en privé, de même que tous les éléments de la culture française, y compris le port du béret... Les noms de famille qui pouvaient être traduits en allemand furent aussi germanisés : ainsi "Charpentier" devenait "Zimmermann" ou "Schreiner"... Idem pour les prénoms : Marcel devint "Marzel", Eugène "Eugen"...




La nazification fut aussi menée avec vigueur. Elèves et étudiantes sont passées dans plusieurs pièces évoquant la période nazie marquée par la mise en place d'une administration puissante et des organisations liées au Parti Nazi: Jeunesses Hitlériennes, RAD (Service du Travail)...





En plus d'une intense propagande en faveur de l'Allemagne nazie et une participation à son effort de guerre, les habitants furent astreints au service militaire à partir d'août 1942. En effet, une citoyenneté allemande leur fut imposée à cette date en raison de leur "germanité" ou Deutschtum, mais ce ne fut pas une pleine citoyenneté comparable aux autres Allemands qui étaient des "deutsche Reichsbürger"; les Alsaciens et Mosellans reçurent très majoritairement une citoyenneté "auf  Widerruf", une sorte de sous-citoyenneté leur donnant une possibilité ultérieure de devenir pleinement des Allemands en fonction du "mérite" qu'ils allaient montrer, c'est-à-dire de l'engagement pour l'Allemagne nazie; un petit groupe de pro-nazis seulement eut une pleine citoyenneté, les autres étant des "sujets". 

130 000 Alsaciens et Mosellans, nommés les Malgré-Nous, furent enrôlés dans la Wehrmacht (armée) ou la Kriegsmarine (Marine de Guerre). Puis, en novembre 1943, sur ordre de Himmler, environ 5 000 jeunes conscrits Alsaciens, principalement de la classe 1926, mais aussi des classes 1908-1909, 1910 et 1913, furent obligés d'entrer au sein des SS pour compenser les lourdes pertes de ces unités, à partir du 10 février 1944. Un simple avis du conseil de révision, qui examinait la santé des conscrits, suffisait pour être versé dans la SS avec l'attribution du livret militaire. Beaucoup de ces jeunes Alsaciens servirent dans la division Das Reich qui s'illustra tragiquement lors du massacre d'Oradour-sur-Glane le 10 juin 1944 où parmi les 642 victimes, on comptait des réfugiés d'Alsace-Moselle ... La majorité fut versée dans la Division SS Reichsführer qui commit des crimes de guerre en Italie...





40 000 Alsaciens-Mosellans sur 130 000 périrent ou furent portés disparus lors de la Seconde Guerre Mondiale.

La répression contre les réfractaires et les résistants fut aussi féroce avec l'installation d'un camp d'internement à Schirmeck (15 000 personnes y séjournèrent), d'un "centre spécial" au fort de Queuleu près de Metz (1500 internés) et d'un camp de concentration à Natzweiler-Struthof (non loin du mémorial), où sur 54 000 déportés, 22 000 moururent...





Les combats de la libération furent très durs: Metz fut prise par les Américains du général Patton le 22 novembre 1944; Strasbourg fut libérée par les troupes du général Leclerc le lendemain, 23 novembre 1944. Mais les troupes allemandes s'accrochèrent au reste du territoire: Colmar fut prise le 2 février 1945; Bitche le 16 mars 1945...




Après la libération, il y eut des procès afin de punir ceux qui avaient soutenu le régime nazi: ainsi le gauleiter Wagner fut condamné à mort et fusillé en 1946. Une vidéo montre aussi le douloureux procès de Bordeaux en janvier - février 1953 au cours duquel quatorze SS Alsaciens (un engagé volontaire et treize conscrits versés de force dans la SS) furent jugés pour le massacre d'Oradour-sur-Glane, avec sept SS allemands. Après des débats passionnés, les conscrits alsaciens furent condamnés à de la prison (5 à 8 ans) tandis que l'engagé volontaire fut condamné à mort. Ils furent très rapidement amnistiés sous la pression des autorités alsaciennes qui estimaient qu'il fallait tourner la page, le condamné à mort voyant sa peine commuée en prison à vie (il fut libéré en 1959).

Les dernières salles du mémorial, avec notamment un cinéma panoramique, évoquent l'action de Robert Schuman et le rôle de la France dans la construction européenne avec la CECA puis la CEE, dans un but de paix et de prospérité.







Le Parlement Européen à Strasbourg.

L'après-midi fut consacré à la visite du Parlement Européen à Strasbourg. Les élèves et étudiantes ont pu apprécier la beauté du monument achevé en 1999, avec ses jardins verticaux, ses ouvertures et le très bel hémicycle qui peut accueillir les 751 députés.














Une guide a expliqué le rôle de ce parlement et son fonctionnement.

Bref, ce fut une très bonne journée en Alsace !


Jérôme JANCZUKIEWICZ