dimanche 24 mars 2019

LA FRONTIÈRE DE L’EST DE 1871 À 1918. L’ALSACE – MOSELLE ENTRE FRANCE ET ALLEMAGNE.


LA FRONTIÈRE DE L’EST DE 1871 À 1918. L’ALSACE – MOSELLE ENTRE FRANCE ET ALLEMAGNE.

Tracés de la frontière, fortifications et populations.

Un poteau frontière allemand (Exposition "Lorrains sans frontières" au Musée Lorrain de Nancy en mars 2018)

Un contrôle de la douane à Lascemborn, aujourd'hui Lafrimbolle en Moselle.

Dans le cadre de la fin de la célébration du Centenaire de la Guerre de 14 – 18, la classe de Première L ainsi que les élèves de Littérature et Société du lycée Arthur Varoquaux ont étudié un sujet local lié aussi à leurs leçons d’EMC : comment les limites de  la frontière du nord-est de la France avaient varié de 1871 à 1918 en fonction des guerres.

Casque  allemand de sous-officier des douanes d'Alsace-Moselle (Musée de Gravelotte). 


Cette étude menait à diverses interrogations : pourquoi y avait-il eu une guerre entre la France et les Etats Allemands en 1870 – 1871 ? Comment le tracé nouveau de la frontière avait-il été dessiné après la signature du Traité de Francfort le 10 mai 1871 ? Comment cette frontière était-elle organisée avec l’établissement de postes de douane dont le plus proche de notre lycée, celui de Brin-sur-Seille, se trouvait à 15 km de nous seulement ? Pourquoi toutes ces forteresses situées aussi non loin de notre lycée : le fort de Manonviller, la Batterie de l’Eperon à Frouard, la place forte de Toul ?

"Le souvenir". Oeuvre de Paul Dubois installée en 1908 à Nancy (sur l'actuelle place Maginot): la Moselle et l'Alsace affligées par l'annexion allemande.


Il était étrange de constater que, 100 ans auparavant, Nancy était une ville frontière et que Tomblaine était si proche de l’Allemagne !

Surtout, quel avait été le sort des populations, déchirées entre la France et l’Allemagne ? Nous allions réfléchir sur un thème important de nos cours d’EMC : qu’est-ce qu’être Français ?

Notre professeur nous a fait étudier une série de documents anciens (photos, cartes, cartes postales, passeports, médailles) provenant de sa collection afin de comprendre ce contexte, puis il nous a indiqué des sites nancéiens commémorant la Guerre de 1870 – 1871 comme le cimetière de Préville et les statues de la place Maginot. 

En effet, les Allemands occupèrent Nancy du 12 août 1870, date de leur entrée sans combat dans la ville, au 1er août 1873, date de leur départ après le versement de l'indemnité de guerre prévue par le traité de Francfort. 

Le monument commémoratif de la Guerre de 1870 - 1871 au cimetière de Préville à Nancy.

Enfin, nous avons visité deux sites le 28 février 2019 : le musée de la Guerre de 1870-1871 et de l’Annexion à Gravelotte en Moselle et la Batterie de l’Eperon à Frouard en Meurthe-et-Moselle. 



Le superbe Musée de la Guerre de 1870 et de l'Annexion à Gravelotte (28 février 2019).


Plusieurs élèves de la Première L avaient aussi vu l'exposition "Lorrains sans frontières" au Musée Lorrain le 22 mars 2018, où des objets concernant notre sujet avaient été présentés.

Ce projet vise aussi à préparer les élèves au nouveau programme de Première, pour la rentrée 2019, dans lequel la Guerre de 1870 - 1871 et ses conséquences, doivent être étudiées.


INTRODUCTION : LA GUERRE DE 1870 – 1871.

Nous avouons que peu d’entre nous avaient entendu parler de cette guerre… Sauf ceux qui habitaient à Vic-sur-Seille et à Château-Salins, qui savaient déjà que leurs villes avaient été allemandes. Nous avons découvert ce conflit lors des séances d’étude des documents et lors de notre visite à Gravelotte. Voici les points principaux que nous avons retenus.

- La Prusse, sous l’autorité du roi Guillaume Ier et de son chancelier (premier ministre) Otto von Bismarck, voulait unifier les Etats Allemands alors indépendants, sous son autorité dans le cadre de l’éveil des nationalités en ce milieu du XIXème siècle. L’Italie avait commencé son unité dès 1860 et la Prusse suivait ce mouvement. La Prusse avait constitué une puissante armée, dotée d’une artillerie moderne, qui avait vaincu le Danemark en 1864 puis l’Autriche en 1866. Une Confédération de l’Allemagne du Nord fut créée en 1867 mais il restait encore le sud, avec notamment la Bavière, à rattacher à cet ensemble.

- Bismarck organisa alors une guerre contre la France pour achever l’unité allemande. Le prétexte fut la question de la succession au trône d’Espagne, alors vacant. La Prusse proposa la candidature d’un prince de la Maison des Hohenzollern (qui régnait sur la Prusse) mais la France, dirigée par l’empereur Napoléon III, s’y opposa, craignant un encerclement de son territoire. L’entrevue qui eut lieu à Ems, entre l’ambassadeur de France et le roi Guillaume Ier, vit la renonciation de la candidature Hohenzollern mais Bismarck écrivit une dépêche qui déforma les faits : l’ambassadeur de France aurait été congédié par le roi de Prusse ! Cette « dépêche d’Ems », insultante pour la France, entraîna la déclaration de guerre de cette dernière à la Prusse le 19 juillet 1870.

L'uniforme du fantassin français en 1870 avec un fusil chassepot équipé de son sabre-baïonnette. Musée de Gravelotte. 

Le célèbre casque à pointe prussien. La pointe a pour but de dévier un coup de sabre porté sur la tête ... Musée de Gravelotte.

- Les armées françaises, environ 250 000 hommes, se rassemblèrent dans un grand désordre, sans plan de bataille ni cartes pour se déplacer car le gouvernement impérial avait décrété la mobilisation des troupes et leur concentration sur la frontière en même temps… Certains généraux ne savaient pas où se trouvaient leurs armées...

Les Français avaient un bon fusil, le chassepot modèle 1866, et un « canon à balles » (sorte de mitrailleuse) efficace mais leurs canons étaient en bronze et se chargeaient par la gueule tandis que les Allemands, qui étaient près de 500 000 avec les armées bavaroises, avaient un canon en acier se chargeant par la culasse et ayant une plus grande portée.


Le canon à balles français, pouvant tirer des salves de 25 coups.

Les "chargeurs" avec les 25 cartouches.



Canon français en bronze, se chargeant par la bouche. Ce modèle de canon, rayé, solide et maniable, pouvait tirer tous les types de munitions (boulet, obus, boîte à mitraille) à 3,5 km de distance mais il était très inférieur aux canons en acier Krupp se chargeant par la culasse et ayant une portée de 5 km. Musée de Gravelotte.

- Les Français, battus en Alsace dès le début d’août 1870, se replièrent sur Metz poursuivis par les Allemands qui cherchaient à les encercler. 



Carte de Metz de 1866, avec Gravelotte à l'ouest.


La bataille de Gravelotte eut lieu le 18 août 1870 : les Allemands attaquèrent en masses serrées les Français qui étaient bien retranchés. Les canons à balles et les chassepots causèrent de lourdes pertes aux Allemands qui perdirent plus de 20 000 hommes dans la journée (contre 12 000 Français). De là vint l’expression « cela tombe comme à Gravelotte » !

Une cuirasse française percée de balles ... Musée de Gravelotte.

Les uniformes de la cavalerie française en 1870 : un hussard et un cuirassier (Musée de Gravelotte).





Les durs combats entre Français et Allemands autour de Metz en août 1870. Tableaux du Musée de Gravelotte. 

Cette victoire ne fut pas exploitée par le général Bazaine qui s’enferma à Metz. L’empereur Napoléon III qui venait le secourir avec une autre armée, fut encerclé à Sedan les 1er et 2 septembre 1870 et capitula.



Source: Manuel d'Histoire Contemporaine 1852 - 1939, Classes Terminales, collection Jules Isaac, par J. Isaac, A. Alba et A. Bonifacio, Hachette, 1961.

- La République fut proclamée à Paris le 4 septembre 1870 et le Gouvernement de Défense Nationale poursuivit la guerre en levant trois armées, mais en vain, car elles ne purent atteindre Paris (voir carte) dont les Allemands faisaient le siège depuis le 19 septembre 1870. Les combats durèrent jusqu'au 28 janvier 1871, date de la signature de l'armistice par les Français. Dix jours avant, le 18 janvier 1871, Guillaume Ier fut proclamé « empereur allemand » au château de Versailles, achevant ainsi l’unité allemande. 

Quant aux pertes, les Allemands perdirent 130 000 hommes lors de ce conflit; les Français 139 000.
Les négociations entre le gouvernement français, mené par Adolphe Thiers et les Allemands aboutirent à la signature du traité de Francfort le 10 mai 1871.

I
LA NOUVELLE FRONTIÈRE

Une limite bien marquée.

Le traité de Francfort (10 mai 1871), en plus du versement d'une énorme indemnité de guerre de 5 milliards de francs-or, reconnut l’annexion de l’Alsace et de la Moselle par l’Allemagne ; ces territoires devenant le « Reichsland Elsass – Lothringen », c’est-à-dire une « Terre d’Empire », un territoire commun à tous les Etats de l'Empire, mais sous l’autorité directe de l’empereur allemand, représenté sur place par un gouverneur (Statthalter). Mais les empereurs allemands y vinrent en visite régulièrement afin de voir leurs nouveaux sujets, comme ici à Metz entre 1906 et 1914.

L'arrivée du cortège impérial à Metz en 1906 (date inscrite au verso).

Le Kaiser Guillaume II (à droite, à cheval, avec son bâton de commandement) et sa famille en visite à Metz les 26 et 27 août 1908.

L'accueil de la famille impériale à Metz le 26 août 1908. Photo prise par le photographe Franz Idzior, 3 rue de Nancy à Metz.


Selon l'annotation au verso, une visite du Kaiser à Metz en 1910. On reconnaît la façade du palais du gouverneur.


Visite des princes impériaux Eitel et Joachim von Hohenzollern à Metz en juin 1914. Leur voiture quitte le parvis de la gare de Metz. 

Un palais impérial fut construit à Strasbourg (c'est aujourd'hui le Palais du Rhin) qui s'agrandit de façon considérable avec la "Neustadt", avec de nombreux bâtiments comme l'Université, un Parlement, ou la gare; Metz connut aussi un bouleversement architectural notable avec notamment sa gare; l'empereur allemand Guillaume II acheta aussi un château à Urville, à l'est de Metz, en 1890, sans oser bâtir un nouveau palais à cause du coût. 

Un timbre fiscal de 1902 montrant l'emblème du Reichsland Elsass-Lothringen : l'aigle de l'empire allemand  avec le blason coupé de la Lorraine et de l'Alsace. Il en existe une autre version (voir en dessous, acte notarié de 1891) qui est simplement l'aigle de l'empire allemand avec le blason de la Prusse au centre, puisque le Reichsland est une terre commune à tout l'empire. 

C'est ce modèle d'aigle (les armoiries de l'empire allemand ou IIème Reich) qui figurait sur les panneaux placés à la frontière.

Le Reichsland était très important pour les empereurs allemands qui en firent une "vitrine" du IIème Reich, avec la restauration du château du Haut-Koenigsbourg mais surtout avec l'application d'une législation sociale très avancée pour l'époque, notamment un système de retraite et de sécurité sociale.

Une nouvelle frontière fut donc délimitée en fonction de plusieurs critères :
- Un critère historique et ethnique pour l’Alsace qui était considérée comme une terre germanique prise par les Français en 1648.
- Un critère « patriotique » avec l’attribution à l’Allemagne des champs de bataille situés autour de Metz (ville française depuis 1552), comme Gravelotte. Les Allemands avaient subi des pertes importantes durant ces batailles (1/4 des pertes totales de la Guerre de 1870 – 1871) et demandaient ces sites pour honorer leurs morts. En échange, ils laissèrent le sud de l’Alsace à la France : ce petit morceau devint le Territoire de Belfort, ville que les Allemands n’avaient pas pu prendre.
- Un critère économique avec la volonté de s'emparer des mines de fer de Moselle. Mais tout le département ne fut pas annexé et ce qui en restait fut rattaché au département de la Meurthe qui devint la Meurthe-et-Moselle.
- Un critère stratégique : avec les villes de Metz et Strasbourg qui devenaient allemandes, la frontière de la France à l’Est était sans défense.
L'expression "Alsace - Lorraine", littéralement traduite de l'allemand "Elsass - Lothringen", est donc inexacte puisque toute l'Alsace ne fut pas annexée (Belfort restant à la France), de même seule une grande partie de la Moselle, avec un morceau de la Meurthe, fut annexée, le reste de la Lorraine avec le nouveau département de Meurthe-et-Moselle, les Vosges (sauf un tout petit morceau attribuée à l'Alsace) et la Meuse demeurant à la France.



La frontière de 1871 sur plaques émaillées (Exposition "Lorrains sans frontières", Musée Lorrain, mars 2018)



Une carte française (vers 1900).

La frontière franco-allemande fixée en mai 1871, marquée par un épais trait rouge. La carte française mentionne aussi, entre parenthèses, la germanisation des noms de certaines villes  de Moselle comme Château-Salins nommée Salzburg (mais les cartes allemandes gardent le nom français ...). 


Carte allemande "Elsass - Lothringen" de 1900 (1/400 000è)



































Détail de la carte (région de Nancy - Lunéville).



Détail de la carte (les Vosges).




En gros, le tracé de la nouvelle frontière suivait des limites naturelles comme les rivières avec la Seille et la Loutre Noire, et les crêtes des montagnes (Vosges). Les Allemands y placèrent des bornes cubiques en pierre, portant un numéro, avec la lettre D pour « Deutschland » et la lettre F pour « France », avec une petite entaille sur le sommet pour indiquer la limite précise de la frontière, plus des panneaux massifs en fonte, avec les couleurs allemandes (noir, blanc, rouge) avec un aigle et l’inscription « Deutsches Reich ».


Un amusant photomontage montrant les bornes de la frontière et les douaniers français (à gauche) et allemands (à droite)


Le grand poteau frontière allemand de Novéant (Musée de Gravelotte).

Un poteau frontière allemand autrefois placé sur la Seille (Musée Lorrain 2018).





A l’époque, les dirigeants, comme Bismarck, qui avaient conquis l’Alsace-Moselle, devaient montrer ostensiblement que ce territoire leur appartenait donc les soldats mettaient des bornes là où leur territoire s’arrêtait. Ainsi, une fois que l’on passait cette borne ou ce poteau, on se retrouvait dans l’autre pays. A Igney, la frontière coupait le village en deux ! En ce qui concerne les Français et les Allemands, on voit sur la photographie qu’il y a des différences entre les deux.

Du coté des Allemands, leur « borne » est un poteau très imposant et voyant pour que l’on sache bien que c’est leur territoire, donc leur frontière.  Nous savons aussi que les Allemands aiment les choses imposantes comme par exemple la gare de Metz qui a été construite par eux pour montrer leur supériorité. C’est une sorte de rivalité avec les Français. Alors que du côté des Français c’est simplement une pierre ou un poteau avec une simple plaque avec le mot "frontière" parce que les Français, au fond, espèrent reprendre les territoires qui, avant 1871, leur appartenaient, et donc ces simples pierres et poteaux sont juste destinés à être enlevés par la suite.


On peut voir aussi sur la photographie que les douaniers allemands et français pouvaient poser ensemble mais il y a aussi une différence très nette. Les douaniers sont placés dans la rue principale du village : à droite les Français qui sont très proches des uns des autres, puis à gauche les Allemands qui sont très distants de leurs camarades. Les deux anciens ennemis restent bien chacun dans leur territoire. 

Johanna Thiéry, classe de P L.





Cette photo, prise à Villerupt, représente les gendarmes et douaniers, de chaque nationalité, avec leurs uniformes différents (képis, vestes avec deux rangées de boutons pour les Français, casques à pointe et manteaux longs  pour les Allemands), divisés par ces panneaux-frontières. Ces derniers sont différents selon le pays : le panneau allemand, visiblement fraîchement repeint, est massif et imposant, alors que le panneau français est plus simple, avec la simple mention "frontière". Celle-ci est marquée par une borne cubique qui la matérialise. Ainsi, la population, de chaque côté, ne peut ignorer qu'elle passe d'un pays à un autre. 


Maude Antoine, Arthur Rosenberg, classe de P L.






La frontière France-Allemagne à Gérardmer ou plutôt au col de la Schlucht: nous remarquons la présence des douaniers français  et celle de deux poteaux, un poteau français à gauche et un poteau allemand à droite. Nous constatons que le poteau en fonte des Allemands est beaucoup plus imposant que celui des Français, plus léger. Cela nous montre que les Allemands voulaient montrer leur « supériorité » avec ce poteau et, sur ce dernier, il y avait également un aigle et les couleurs du drapeau allemand de l'époque. Cela a pour but de délimiter nettement la frontière France-Allemagne, jugée intangible, alors que les Français ne la conçoivent que comme provisoire.





Iris Lebon-Rug et Marie-Amélie Dasle, Anna Bluche, classe de P L.



A Brin-sur-Seille, à 15 km de Nancy, la Seille délimitait la frontière. Le pont qui la traversait avait une extrémité en territoire français et l'autre en territoire allemand, avec les habituels panneaux français et allemands de chaque côté ! Le poste de douane français est aussi très modeste, avec une petite cabane qui fut reconstruite en 2018 lors de la célébration locale de la fin de la Grande Guerre.







Ce sentiment de "coupure" se voit à Lunéville avec le monument de la Guerre de 1870 - 1871. Devant la mairie, se trouve un monument sur lequel se trouve un obélisque avec la croix de la Lorraine. C’est l’un des premiers monuments aux morts où sont inscrits les noms des défunts; il a donc inspiré ceux de la Guerre 14-18. De plus, sur ce monument est gravé un hommage aux morts: « à la mémoire des citoyens des arrondissements de Lunéville et Sarrebourg victimes de la guerre. 1870-1871 ». Les deux femmes, tristes et au visage baissé, sur chaque côté, représentent les villes de Lunéville et Sarrebourg qui sont désormais divisées par une nouvelle frontière. Ces deux femmes, en deuil, se tournent le dos, ce qui marque la coupure de l’arrondissement.










Angéla Aglago, classe de P L.




Une zone de passages et d'échanges.


Carte postale allemande montrant Château-Salins en Lorraine (Lothringen), près de la frontière.


On pouvait bien entendu franchir cette frontière. Pour cela, il fallait parfois présenter un passeport spécial, surtout entre 1888 et 1891, délivré par les autorités françaises et portant un visa de l'ambassade d'Allemagne à Paris.



Un passeport pour l'Alsace-Moselle délivré par le sous-préfet de Montbéliard à Léon Schaerer, maître répétiteur de collège âgé de 24 ans, le 13 février 1891. Le visa et les tampons de la douane, notamment celle d'Avricourt, sont au verso.


Il fallait aussi changer son argent ... A l'époque, un mark allemand valait un franc vingt-cinq centimes.


Des pièces en argent françaises de 5 francs de 1868 (les monnaies de Napoléon III ont circulé jusqu'en 1928), 1871 et 1876, surnommées "thunes", avec des billets allemands de 20 et 50 marks de 1910.

Il fallait aussi acquitter des taxes sur les marchandises, comme Henri Jeandel, épicier en gros à Nancy, rue du Pont Mouja, qui passa la frontière à Avricourt le 14 mai 1896 et qui dut verser à la douane allemande 3 marks 60 pfennigs pour 15 kg de marchandises pour lesquels il reçut une "quittung". Avricourt (à l'époque Deutsch-Avricourt) était un village frontière où les Allemands avaient aussi construit une gare gigantesque, où les voyageurs venus de France devaient changer de train, la taille de l'écartement des voies étant différente dans les deux pays ! Cette gare, bombardée lors de la Première Guerre Mondiale, puis laissée à l'abandon, doit être prochainement restaurée.



Carte postale du 29 octobre 1902 envoyée depuis Deutsch-Avricourt, montrant la gigantesque gare frontière, avec "Gruss von der deutsch-französischen Grenze" (un salut envoyé de la frontière franco-allemande). 





On était loin de la libre-circulation des personnes et des biens, et de la monnaie unique ... Mais il faut reconnaître que les Allemands étaient assez libéraux : les Messins venaient à Nancy acheter des produits français, voir la famille et inversement, les Nancéiens venaient voir les nouveaux aménagements de Metz. Sur la frontière même, des habitants de Moselle, comme ceux d'Arry, pouvaient se rendre dans le village français voisin (Arnaville) pour célébrer le 14 juillet. Les échanges commerciaux étaient importants, comme les migrations de travail : de nombreux maçons du Pays Haut allaient travailler à Metz et Thionville.

Sinon, on pouvait aussi bien sûr s'écrire et voici une jolie carte postale allemande venant de Schirmeck, écrite en octobre 1890.




Une zone de tensions latentes.


La présence d'une frontière aux limites pourtant bien marquées pouvait néanmoins mener à des incidents de frontière ! Ainsi, la presse de l'époque relate fréquemment l'intrusion de cavaliers allemands sur le territoire français, des échanges d'insultes entre Allemands et Français, le passage en territoire français de déserteurs alsaciens ou mosellans refusant de servir dans l'armée allemande. 




Parmi les incidents les plus graves, on peut noter l'affaire Schnaebelé en avril 1887, à Pagny-sur-Moselle. Guillaume Schnaebelé était commissaire de police dans cette ville et il fut attiré dans un piège par ses collègues allemands qui affirmèrent qu'un poteau frontière avait été dégradé. Sur place, le 20 avril 1887, il fut enlevé par les Allemands qui l'accusèrent d'espionnage ! L'incident faillit provoquer une guerre entre la France et l'Allemagne, le général Boulanger, alors ministre de la Guerre voulant lancer un ultimatum. Mais les Allemands relâchèrent finalement le commissaire lorsque les Français leur présentèrent la convocation officielle que les Allemands avaient eux-mêmes écrite ! Pourquoi donc arrêter illégalement un policier français qui avait été appelé par les Allemands ? Guillaume Schnaebelé fut libéré le 30 avril 1887.


Reconstitution de l'arrestation de Schnaebelé à Pagny-sur-Moselle en 1887.


La même année, le 24 septembre 1887, près du massif du Donon, à Vexaincourt (Vosges), le garde-chasse Brignon, qui accompagnait une battue, fut tué à quelques mètres de la frontière, en territoire français, par un soldat allemand qui pensait avoir affaire à des braconniers ! Le gouvernement allemand, qui était dans son tort, présenta ses regrets à la famille et lui offrit 50 000 marks d'indemnité. Un monument en mémoire au garde-chasse fut élevé à Raon-lès-Leau (Meurthe-et-Moselle) devant le cimetière (où on peut toujours le voir).






Autre incident notable : le zeppelin de Lunéville (3 - 4 avril 1913) ! Les habitants eurent la surprise de voir un énorme dirigeable allemand atterrir sur le Champ de Mars ! Le zeppelin, qui faisait un vol d'essai, se retrouva en difficulté lorsque ses moteurs tombèrent en panne; de plus les hélices avaient projeté de la glace sur les réservoirs d'hydrogène qui furent crevés. En grande difficulté, il dut se poser en urgence en France. La foule arriva en masse pour voir le géant ainsi que l'armée française, déjà présente sur le site où une revue militaire se déroulait... De très nombreuses photos furent prises sur place. 







Les Allemands, très gênés, montrèrent leur bonne foi et les Français, ravis de cette confusion, inspectèrent l'engin qui n'était pas armé. Finalement, après les réparations et le regonflage, le zeppelin repartit pour l'Allemagne. 





L'incident, première violation de l'espace aérien de l'histoire, montrait aussi que les Allemands faisaient des préparatifs pour survoler la France en cas de guerre ...

Juliette Marotel et Suzon Richard, classe de P L. 


Trois semaines plus tard, le 22 avril 1913, un biplan allemand de type Heller, à court d'essence après s'être perdu dans le brouillard, dut atterrir dans un champ près d'Arracourt ! L'avion fut examiné par les douaniers et les deux pilotes furent interrogés par les autorités locales. Après un bon repas, les deux pilotes, le capitaine von Wall et le lieutenant von Mirbach, reprirent leur vol pour Metz après le réapprovisionnement en essence de leur avion ! Nouvel incident, identique, le 3 février 1914 à Croismare, près de Lunéville, où un biplan allemand s'abîme dans un champ ...





II

LA  FRONTIÈRE FORTIFIÉE

"La Barrière de Fer"


La perte de Metz et de Strasbourg laissait l'est de la France sans défense. Le général Séré de Rivières proposa alors au gouvernement la construction de forts le long de la nouvelle frontière afin d'empêcher une attaque des Allemands qui avaient évacué les derniers territoires occupés en août 1873, après le versement de la dernière tranche de l'indemnité de guerre. Dès 1874, les Français construisirent de nombreuses forteresses qui s'appuyaient sur des places fortes comme Verdun, Toul, Epinal et Belfort. Nancy, jugée trop proche de la frontière, ne fut pas fortifiée, d'autant plus que les Allemands s'y opposaient ... Les travaux se poursuivirent jusqu'à la veille de la guerre de 1914. Ainsi, l'est de la France fut protégé par la "Barrière de Fer".


Ces forts devaient en fait freiner une éventuelle offensive allemande et "canaliser" cette offensive avec la présence de "trouées", dont celle de Charmes, qui devaient attirer les Allemands là où les Français les attendaient ... 




La Batterie de l'Eperon (Google Maps)


Nous avons visité la Batterie de l'Eperon à Frouard, ouvrage remarquablement restauré par une équipe de bénévoles. Cette "annexe"du fort de Frouard fut construite de 1879 à 1883 sur une falaise dominant la vallée de la Moselle. Ses canons devaient protéger Nancy d'une éventuelle attaque allemande venue de Metz.




Une cloche blindée pour observer les alentours du fort.


La vallée de la Moselle et Frouard, depuis le sommet d'une casemate Mougin.



Des pièces d'artillerie Bange dans les salles du fort.



De forme triangulaire, protégée par des fossés, la batterie avait une garnison de 200 hommes qui disposaient de dortoirs. 




Vue des fossés de la batterie de l'Eperon, depuis l'embrasure d'un coffre de contrescarpe (c'est une sorte de blockhaus situé dans la partie basse du mur extérieur du fossé et destiné à protéger l'intérieur de ce fossé contre des assaillants).


Son artillerie, installée à l'origine dans des emplacements situés à l'air libre au sommet du fort, était désormais protégée par des casemates Mougin, vastes salles au revêtement de plaques de fonte dure renforcées par du béton coulé en "gradins" pour arrêter les éclats d'obus. A l'extérieur, un énorme obturateur de fonte se relevait après le tir pour protéger l'embrasure de la casemate. 






Extérieur et intérieur de la casemate Mougin.


Le plus remarquable cuirassement est la tourelle à éclipse Galopin avec ses deux canons de 155 mm, ayant une portée de 7,5 km. La tourelle, grâce à un système d'énormes contrepoids, se soulevait pour tirer et descendait ensuite, le tout en 4 secondes ! Elle fonctionne encore parfaitement !





La tourelle Galopin vue de l'extérieur.





La culasse d'un des deux canons.


Les canons de 155 mm à l'intérieur.


La trappe d'accès à la tourelle.


Le monte-charge pour les obus et la poudre.


Le mécanisme de levée de la tourelle.


Les salles et galeries, en pierres renforcées par une couche de béton et de terre, sont impressionnantes et méritent vraiment une visite car il y a beaucoup de choses à voir !



Une vue plongeante vers la poudrière !


Les galeries du fort.


Les structures bétonnées du fort.


La Batterie de l'Eperon, pourtant très impressionnante, n'était qu'un élément modeste du système Séré de Rivières; un ouvrage annexe de l'énorme fort de Frouard maintenant situé dans la forêt. Il existe d'autres ouvrages fortifiés bien plus grands comme Villey-le-Sec, qui englobe tout un village ou Uxegney près d'Epinal ! Ces fortifications étaient complexes, avec des éléments d'architecture militaire nouveaux qui influencèrent l'art militaire du XXème Siècle, comme les tourelles à éclipse, l'usage du béton armé, des structures géométriques rectangulaires ou cubiques avec des ouvertures en gradins. Certains forts, comme celui de Villey-Saint-Etienne, près de Nancy, construits peu de temps avant 1914, sont entièrement en béton armé et comprennent plusieurs blocs autonomes. 

De leur côté, les Allemands fortifièrent Metz, avec des auréoles assez larges d'ouvrages bétonnés dont certains ne se trouvaient qu'à 4 - 5 km de la frontière ... Ces forteresses étaient conçues comme des bases pour lancer des attaques contre la France, et les travaux s'amplifièrent dans les années 1890 car Metz devait servir de pivot pour une grande attaque allemande vers l'Ouest, en direction de la Belgique (Plan Schlieffen). 

La "Barrière de Fer" formait un obstacle redoutable pour les armées allemandes; c'est pourquoi le célèbre Plan Schlieffen avait prévu de porter l'attaque principale contre la France en passant par la Belgique et le Luxembourg, afin d'éviter les forteresses françaises de l'Est, avec une attaque secondaire en direction de la Trouée de Charmes et donc de Nancy (mais les Français s'y attendaient et les Allemands furent défaits lors de la bataille du Grand Couronné en septembre 1914).


La présence importante de l'armée.


La frontière avait donc un aspect bien martial ! La présence de l'armée française était importante avec les forts et les casernes à Toul, Nancy, Epinal, Saint-Nicolas-de-Port...





Une photo des élèves caporaux de la 5ème compagnie du 2ème Bataillon de Chasseurs à Pied (1892 - 1893) prise à Lunéville "Frontière Franco-allemande. A LA REVANCHE 1870-71 = 18.."


La Lorraine était donc devenue un bastion de l'armée française. Rien qu'à Toul, place forte importante du système Séré de Rivières, la ville, elle-même fortifiée, était protégée par 16 forts et une garnison totale de 42 000 hommes ! Lunéville abritait des bataillons de chasseurs à pied et des régiments de cavalerie (notamment le 9ème régiment de dragons).


Officiers et sous-officiers du 2ème BCP sur le Monument de 1870 de Lunéville en octobre 1898.


La dédicace du capitaine à ses sous-officiers : "Revanche !!!!!!!"


Détail de la photo.


Le colonel François Louis Labat (Bayonne, 24 août 1849 - 22 mai 1916), avec des officiers et des sous-officiers du 9ème régiment de dragons de Lunéville au début du XXème siècle. Le colonel, qui était sous-lieutenant au 8ème Hussards en Afrique en 1870-1871, assis au centre, est officier de la légion d'honneur, promotion obtenue en 1904 (dossier de la base LEONORE).


L'intense activité militaire dans notre région est bien décrite dans l'étude sur le service militaire sous la IIIème République faite en 2018 par les P S 3 et où l'on peut voir les cartes postales de casernes de Nancy, Saint-Nicolas de Port, Lunéville:


http://varoquaux-1916-2016.blogspot.com/2018/06/le-service-militaire-sous-la-iiie.html 



III

UNE POPULATION DÉCHIRÉE

Choisir entre la France et l'Allemagne : l'option.


La population de l'Alsace et de la Moselle, devenue allemande sans aucun référendum, se trouva confrontée à un choix douloureux à faire avant le 1er octobre 1872: soit on restait Français et il fallait alors quitter le Reichsland soit on choisissait la nationalité allemande et on restait chez soi. 

C'est que l'on appela l'option.

Plus de 452 000 demandes d'option furent alors enregistrées, représentant près d'un tiers de la population du Reichsland. Mais tous ne quittèrent pas l'Alsace-Moselle pour se rendre en France : finalement 130 000 personnes, les optants, rejoignirent la France (mais certains partirent en Algérie ou aux Etats-Unis). 




Fiches d'optants présentées à l'exposition "Lorrains sans frontière" au Musée Lorrain (2018).



Certaines familles se retrouvèrent déchirées, un membre choisissant la France, un autre prenant la nationalité allemande ...






Durant la guerre des familles ont été amenées à se séparer. Lorsque la Lorraine fut prise par les Allemands en 1871, un dilemme se posa. Les villageois avaient alors le choix entre quitter la région sans rien emporter mais rester Français, ou rester et devenir par conséquent des citoyens allemands. C'est ainsi que de nombreuses familles furent divisées, comme sur cette photo ou nous pouvons observer une famille dont les enfants ne sont plus de la même nationalité. En effet, suite à la séparation de l’Alsace et la Lorraine de la France, l’un des fils est resté citoyen français alors que l’autre est devenu citoyen allemand. Ainsi, le père observe impuissant ses deux fils défendre des pays différents. Cette photographie, immortalisée devant le panneau-frontière symbolise alors la rupture des familles liée à cette situation, avec les deux fils, portant chacun un uniforme différent, et qui sont chacun d’un côté du panneau.

Des liens assez forts subsistèrent entre Alsaciens-Mosellans et les Français situés de l'autre côté de la frontière. Ainsi, le journal régionaliste Dur's Elsass, du 13 août 1910, signale la tenue d'une compétition d'athlétisme entre Alsaciens et Belfortains, de façon humoristique et dans les deux langues ...






Ce ne sera seulement qu’en 1918 que les nombreuses familles séparées seront à nouveaux réunies.


Léïla Haddou et Clémence Foucaud, Salomé Mathieu et Fanny Moebs, 
classe de P L.



Le Plébiscite en Alsace-Lorraine, Charles-Michel (1910)





Cette carte postale est une image de propagande représentant deux jeunes femmes, l’Alsace (à droite) et la Lorraine (à gauche), chacune portant sa coiffe emblématique, terrorisées alors qu’un stéréotype de l’Allemand menaçant les traîne devant un aigle couronné et portant en pendentif une croix de fer. L’aigle est l’animal emblématique de l’Allemagne. Le rouge rehaussant certains traits souligne la violence de l’action. On peut déduire du caractère horrible, et même monstrueux, des deux personnages entourant l’Alsace et la Lorraine, ainsi que des écritures, que cette carte postale est française. Cette image est la représentation de l’appropriation forcée de l’Alsace-Moselle par l’Allemagne. L’Alsace et la Lorraine sont représentées comme deux jeunes femmes vulnérables et terrorisées par l’aigle allemand.

La phrase écrite sous l’image, "répétez sans crainte, du fond du coeur, gentil petit oiseau, nous t'aimons", est prononcée par l'Allemand. C'est une allusion claire et ironique à l'absence de tout plébiscite en 1871, lorsque les Allemands ont annexé l'Alsace-Moselle sans l'accord de ses habitants, forcés de devenir allemands. 

Cette carte postale fait partie de l’imagerie de propagande française ayant pour sujet l’annexion de l’Alsace et de la Lorraine.




Après 1871, les Français publièrent de nombreuses images montrant une vision stéréotypée de l'Alsace et de la Moselle symbolisée par des jeunes femmes aux costumes folkloriques et aspirant à redevenir françaises. 

Marianne Rodhain, classe de P L.






Cette photo représente une Lorraine et une Alsacienne, l’une à côté de l’autre. On peut le voir par les différents habits : l’Alsacienne porte un énorme noeud sur la tête, tandis que la Lorraine porte la traditionnelle charlotte. On peut constater que la femme qui symbolise la Lorraine semble ne pas être très contente, elle manifeste sûrement sa tristesse de voir l’Alsace passer du côté allemand. Elles représentent toutes les deux leur région respective, et le panneau juste entre elles, symbolisant la frontière allemande, donne l’impression de les séparer. Cette photo fait donc penser à l’annexion de l’Alsace et de la Moselle à l’Allemagne : la Lorraine et l’Alsace sont séparées par la frontière allemande, elles ne font plus parties du même pays. 

Amarande Lucot, classe de P L.




En Alsace-Moselle, l'allemand devint la seule langue officielle, dont l'usage fut renforcé par la venue d'Altdeutscher (des Allemands de souche) dans le Reichsland, mais le français ne fut pas interdit et continua à être parlé en privé et utilisé couramment notamment par les générations les plus âgées, nées avant 1871. L'emploi du français devint beaucoup moins courant chez les jeunes générations. Les soldats français qui entrèrent en Alsace-Moselle en novembre 1918 remarquèrent ce fait, ironisant, comme le fait Maurice Bedel, sur les Alsaciennes qui criaient "Fife la Vranze !" ou "Ponchour !" le long des rues de Mulhouse (17 novembre 1918) où le dialogue avec les habitants, qui ne parlaient pas couramment le français, fut difficile. 

D'autres soldats observèrent aussi des jeunes gens qui semblaient indifférents, contrairement à leurs aînés, très enthousiastes et qui ressortaient les vieux drapeaux français ou qui arboraient leurs coiffes militaires de 1870.

Le hasard nous a fait découvrir deux actes notariés venant de Vic-sur-Seille et de Château-Salins en Moselle.

Dans le premier, Maître Koenig, notaire à Vic-sur-Seille, enregistra, le 3 août 1891, la vente par Auguste Lavanoux, journalier, d'un pré situé à Bioncourt, au profit de Jean-François Didillon, instituteur, pour 120 marks. La couverture du document est en français !




Mais l'acte notarié (ici les première et dernière pages) est bien sûr rédigé en allemand !





Le 16 janvier 1900, Maître Edmund Michel, notaire à Vic-sur-Seille (Moselle), procède à l'adjudication d'un bien moyennant 45 marks, au profit d'Eugène Croisé, manoeuvre à Alincourt. L'acte est complété par sa traduction en français, sans doute aussi parce que les anciens propriétaires étaient originaires de Champenoux et d'Erbéviller.





De nombreux documents administratifs allemands étaient bilingues, comme on peut le voir sur cet acte de décès de 1883, venant de la mairie de Vic-sur-Seille (Stadt Vic), sur lequel les informations manuscrites concernant le défunt, Charles Clément Marange, marchand de grains, sont toutes écrites en français. Cet emploi du français était autorisé dans les communes majoritairement francophones.



Inversement, les Français utiliseront, après 1919, des documents administratifs bilingues français - allemand en Moselle, comme ce formulaire pour être réintégré dans la nationalité française  ...






Le souvenir douloureux des provinces perdues.


Des deux côtés de la frontière, une série de monuments commémora la Guerre de 1870 - 1871. Du côté allemand, l'empereur Guillaume II fit élever une vaste statue de l'archange Saint Michel à Saint - Privat en août 1899, afin d'honorer la garde prussienne décimée lors de la bataille en août 1870, et une chapelle à Gravelotte en 1905. Il y eut encore bien d'autres monuments !

Une belle photo du monument allemand de Saint-Privat prise par un photographe de Metz le 29 août 1899 (cette date est inscrite au verso).


Planche du "Livre d'Or du Souvenir Français" de 1929, montrant les monuments allemands de 1870 - 1871 en Moselle.



Le cimetière allemand et la chapelle de Gravelotte (1905)




La chapelle et le cimetière allemand (où reposent aussi des Français) de Gravelotte.


Les Français firent de même à Mars-la-Tour, de l'autre côté de la frontière, où de grandes célébrations eurent lieu chaque 16 août jusqu'à la guerre de 1914 devant une grande statue de bronze élevée en 1875.





De nombreux autres monuments furent aussi élevés par les Français en Moselle allemande non loin de la frontière.






En effet, les célébrations de la Guerre de 1870 - 1871 furent aussi autorisées, pour les Français, en territoire allemand. Le Souvenir Français, association patriotique créée en 1887 par un instituteur alsacien, Xavier Niessen, joua un grand rôle dans ces commémorations.





Le Souvenir Français eut une forte implantation dans toute la France mais surtout en Lorraine (allemande et française) avec des membres recrutés d'abord chez les vétérans (anciens combattants) de 1870 - 1871, qui organisèrent aussi une association en 1893, la Société des Vétérans des Armées de Terre et de Mer 1870 - 1871, dont la devise était: "Oublier,.. Jamais !". Ces vétérans, alors encore nombreux, et qui portaient un insigne spécial, furent très actifs dans toute la France avec des cérémonies et des banquets réguliers.




Les vétérans de la Guerre de 1870 - 1871 d'Arthonnay (Yonne) en 1912 à l'occasion de la célébration du centenaire d'Adrien Raoul et d'une remise de médailles. On remarque l'insigne de la Société des Vétérans de 1870 - 1871 attaché à la boutonnière et la médaille commémorative de 1870 - 1871 nouvellement créée (voir les photos plus bas).


Le monument de la Guerre de 1870 - 1871 à Lunéville avec une couronne déposée par le Souvenir Français et, au - dessus, deux palmes offertes par les Vétérans de 1870 - 1871.  


Nous avons retrouvé la trace (dans des archives familiales) de François-Alphonse Belhomme (né à Epinal le 3 mars 1846 et décédé à Bayon le 14 novembre 1927) : engagé volontaire à 24 ans, le 31 juillet 1870, dans le Premier Bataillon de la Meurthe, il combattit dans les Vosges puis dans l'Armée de la Loire. Il fut blessé à la tête, d'un coup de sabre, à la bataille de Villersexel et fait prisonnier le 9 janvier 1871. Captif à Rastadt, il ne put rentrer à Epinal que le 8 mars 1871. 




Devenu notaire à Bayon, en Meurthe-et-Moselle, il fut un des fondateurs et le trésorier de la 319ème section des Vétérans de 1870 en 1899, section qu'il présida de 1901 à 1911, ainsi que le président du Souvenir Français local et le promoteur du monument aux mort de Bayon où il fut aussi conseiller municipal. 

Jusqu'à la veille de la Guerre de 1914, le Souvenir Français rassembla de nombreux participants devant les monuments, du côté allemand et du côté français, avec des dépôts de gerbes et des discours honorant les morts de 1870, et il s'occupa de l'entretien des tombes.



Médailles commémoratives de la Guerre de 1870 - 1871, dont une avec la barrette "engagé volontaire" (qui sont de création tardive, en 1911): avers (avec une Marianne casquée et "République Française") et revers (avec des armes et l'inscription "Aux défenseurs de la Patrie"). Sur la droite, un insigne de sociétaire ou de pupille de la Société des Vétérans de la Guerre de 1870-1871 qui était aussi une caisse de retraite. Le noir symbolise le deuil; le vert l'espoir ...


Insigne de vétéran des Armées de Terre et de Mer de 1870 - 1871, modèle avec barrette.


Carte d'un vétéran de la Guerre de 1870 - 1871, Jean Prot, de la section de Versailles.



Médaille du Souvenir Français (bronze) attribuée en 1911.


Bulletin d'adhésion au Souvenir Français d'Edouard Gauthier, de Bayon, pour l'année 1898 (3 francs), signé par François-Alphonse Belhomme.


Diplôme d'adhérent du Souvenir Français décerné à Jean-François Parisot le 1er mars 1913. 


Diplôme honorifique du Souvenir Français décerné à monsieur Goudon, propriétaire à Vézelise, le 6 juillet 1908. 



En raison de cette activité patriotique, le Souvenir Français d'Alsace-Lorraine fut interdit par les Allemands en 1913, sous le prétexte d'entretenir des sentiments pro-français (et donc anti-allemands) dans le Reichsland, mais son influence resta intense en Meurthe-et-Moselle, où on comptait parmi ses membres Maurice Barrès, Lyautey, Albert Lebrun, Emile Friant ... 



Lucie Berlioz, classe de P L.


Cette "rivalité" dans les monuments est aussi marquée par la construction de la gigantesque gare de Metz, inaugurée en 1908, destinée à montrer la grandeur germanique ...





Et à faire honte à la gare de Nancy (1856) beaucoup plus modeste ...





Nancy fut directement concernée par ces événements. Sa population doubla entre 1871 et 1914, passant de 50 000 à 120 000 habitants avec l'arrivée des optants qui firent beaucoup pour le rayonnement de la ville, comme Jean Daum, notaire à Bitche, qui acheta une verrerie à Nancy en 1876. Confiée à ses fils, Auguste et Antonin Daum, cette entreprise fut à l'origine de la célèbre cristallerie Daum. Il en fut de même pour Jacques Grüber ou Adolphe Frühinsholz. Ce dernier, grand industriel spécialisé dans la tonnellerie, quitta l'Alsace après 1871 pour Nancy où il fit construire une grande villa de style alsacien que l'on peut toujours voir au 78 avenue du 20ème Corps, la "villa Mai d'Alsace", avec des éléments venant de sa maison d'origine à Schiltigheim ! 



La villa alsacienne d'Adolphe Frühinsholz à Nancy.

Ce dynamisme de Nancy fut marqué par la création de l'Art Nouveau et par l'Exposition Internationale de 1909 dont les pavillons montraient la force de l'industrie lorraine. 





L'agriculture lorraine fut mise en valeur avec une grande ferme modèle mais surtout, il y eut tout un village alsacien reconstitué, dont une des maisons est toujours visible aujourd'hui dans le Parc Sainte-Marie.




Le village alsacien en 1909 au Parc Sainte Marie. La maison principale, au centre, existe toujours.


Yann Obeltz, classe de P L.


Dans la ville même, une statue en bronze en l'honneur d'Adolphe Thiers fut élevée le 3 août 1879 devant la gare. Cette statue célèbre le "libérateur du territoire", debout et en redingote, avec une allégorie de l'Histoire sur le socle, écrivant sur une tablette la date "1er août 1873". En effet, Adolphe Thiers, président de l'exécutif en 1871, fit verser 5 milliards de francs-or aux Allemands pour qu'ils quittent les territoires occupés militairement par eux suite à la guerre de 1870. Les Allemands quittèrent donc Nancy le 1er août 1873 (d'où la date sur la tablette) et les Nancéiens lui en furent reconnaissants. 




Médailles servant de souvenir de l'inauguration de la statue d'Adolphe Thiers à Nancy le 3 août 1879.


Après sa mort en 1877, les habitants tinrent à honorer sa mémoire, aujourd'hui ternie par le souvenir de la sanglante répression de la Commune de Paris en 1871. La statue fut remisée dans les années 1970 avec la construction d'un haut immeuble sur la place et elle n'est pas prête à revoir le jour ! De plus, la place Thiers fut débaptisée le 17 juillet 2018, devenant la place Simone Veil, mais avec une "allée Thiers" sur un des côtés ... 

Acer Dilara, classe de P L. 


La ville de Nancy fit aussi placer en 1908  un groupe statuaire sur l'actuelle place Maginot (place Saint-Jean à l'époque). Ce groupe, "le Souvenir", était l'oeuvre du sculpteur Paul Dubois qui l'avait conçu en 1899. Il s'agissait de rappeler aux passants l'annexion de l'Alsace-Moselle.





Nous pouvons voir une statue en bronze de la Lorraine (à gauche), pleurant sur l’épaule de l’Alsace (à droite) qui, elle, regarde au loin d’un air attristé en lui tenant la main et en l’enlaçant. Ces allégories des provinces perdues sont placées sur un socle en grès des Vosges, autre rappel du drame de 1870 - 1871.

Lylou Aubertin, classe de P L.



Dès 1873, un vaste monument aux morts, de grande qualité, fut érigé à l'Ecole Forestière de Nancy (aujourd'hui AgroParis Tech), située 14 rue Girardet, pour honorer les sept forestiers morts en 1870 - 1871. Une cuve de marbre rouge, ornée d'une palme de bronze, est surmontée par des plaques de marbre comportant les noms des défunts et sept étoiles. Plus tard, cette partie centrale fut agrandie avec les plaques comportant le nom des morts de 14-18, 39-45 puis de la Guerre d'Algérie.







Au lycée Poincaré, deux plaques commémorent le souvenir des anciens élèves de l'établissement tombés en 1870 - 1871.


























Enfin, un monument fut élevé au cimetière de Préville en 1874, en hommage aux Nancéiens morts en 1870 - 1871. Il y a 27 noms gravés autour du socle mais les victimes de ce conflits sont plus nombreuses.






Près du monument, à gauche de l'entrée principale, on voit la tombe du sous-lieutenant Edouard Nicolas tombé devant Metz le 1er septembre 1870.






Non loin de cette tombe, derrière les chapelles situées à droite de l'entrée principale, il y a la tombe de Paul Bastien, blessé mortellement au siège de Verdun le 20 novembre 1870 à l'âge de 19 ans. 






En remontant l'allée centrale, on trouve aussi la tombe du sergent Léon Corrard des Essarts, du 2ème Régiment de Tirailleurs Algériens, ancien élève du lycée Poincaré (alors Lycée Impérial) de Nancy, tué à Froeschwiller en Alsace le 6 août 1870.






En haut du cimetière, les Allemands, qui occupèrent Nancy de 1870 à 1873, organisèrent leur cimetière qui comprend 31 tombes individuelles dont celle du général Hugo Von Tietzen und Hennig, commandant de Nancy, mort de maladie en avril 1873, un monument commémoratif, une vaste tombe collective avec 615 soldats dont 573 Allemands et 162 Français morts dans les hôpitaux de Nancy en 1870-1871, plus un calvaire. Cette tombe collective est entourée de bornes en fonte ayant l'aspect d'un canon et un monument avec des inscriptions bilingues qui rappelle la présence des morts.



Vue générale du carré allemand du cimetière de Préville à Nancy.


Le monument allemand et la tombe du général Von Tietzen.

La tombe du général Hugo Von Tietzen und Hennig (1820 - 1873)

La tombe collective franco-allemande.

"Ici reposent 615 soldats"



Le monument commémoratif (avant et arrière).

La croix en hommage aux soldats allemands et français.





Ce qui est étonnant, c'est l'existence, dès 1871, de monuments commémoratifs franco-allemands, bilingues, et la présence de tombes collectives communes ! On peut aussi voir de tels monuments dans le cimetière de Jarville-la-Malgrange (avec 58 soldats allemands et un soldat français; plus trois tombes individuelles d'officiers allemands, tous morts dans les hôpitaux en 1870 - 1871); ainsi que dans le cimetière de Lunéville où deux grands obélisques, élevés "à la mémoire des soldats morts pendant la guerre de 1870 - 1871", honorent l'un les soldats français, l'autre les soldats allemands !






Le monument de Jarville-la-Malgrange.







Les deux obélisques du cimetière de Lunéville.

D'autres tombes, clôturées par des grilles en fonte, furent élevées dans bien d'autres cimetières afin de recueillir les corps des soldats. 


Tombe (loi du 4 avril 1873) d'un soldat français de la guerre de 1870-1871 dans le cimetière de Saint-Max.

Tombe dans laquelle reposent 4 soldats français de la guerre de 1870-1871 à Malzéville. 



Finalement, les années passèrent, et à la veille de la guerre de 1914, la plaie ouverte par le conflit de 1870 - 1871 s'était refermée. Les historiens ont montré que finalement les Français s'étaient habitués à l'annexion et personne ne songeait véritablement à lancer une guerre contre l'Allemagne pour récupérer l'Alsace-Moselle, même si le souvenir restait dans les esprits. La "Revanche" était surtout le fait de petits groupes nationalistes. Le retour de l'Alsace-Moselle était un espoir mais bien lointain...

Le supplément illustré du Petit Journal du 29 décembre 1912. 



IV

LA GUERRE DE 1914 - 1918 ET LA LIBÉRATION DE L'ALSACE-MOSELLE






Avec le déclenchement de la guerre de 1914 - 1918, la question de la récupération de l'Alsace-Moselle se posa à nouveau. Dans l'imagerie de l'époque, cette guerre apparaissait comme l'occasion de prendre "la Revanche" qui allait effacer la défaite de 1870 - 1871.




Cette image, oeuvre du célèbre dessinateur Georges Scott, est une allégorie représentant une femme, ici c’est l’Alsace, ayant retrouvé son compagnon symbolisé par un soldat français. Ils se sont retrouvés grâce à la chute des frontières de l’Alsace-Moselle. Cette chute est représentée grâce au panneau qui est en train de tomber sur le sol et par les soldats qui célèbrent leur victoire. Ce dessin fut aussi publié dans l'Illustration n° 3729 du 15 août 1914.

Morgane Romeu, classe de P L.


Les opérations militaires en Alsace et en Moselle ne furent pas de grands succès pour les Français en août 1914. Après s'être avancés en Moselle, les Français furent sévèrement battus à Morhange. Les Allemands furent battus à leur tour par les Français lors de la bataille du Grand Couronné en septembre 1914 et ils se replièrent sur la rive droite de la Seille qui devint la ligne de front. Le Journal des Marches et Opérations du 4ème BCP conserve les plans des tranchées autour de Brin-sur-Seille. 

La frontière devenait ligne de front ! Le 4ème Bataillon de chasseurs à pied stationna quelques mois, fin 1916 - début 1917, dans les ruines du village, au bord de la Seille, et dans des positions en retrait situées dans la forêt de Champenoux. 




Trois pages du Journal des Marches et Opérations du 4ème B.C.P. montrant les tranchées aux abords de la Seille fin 1916. Site Mémoires des Hommes.



Du fait de sa proximité avec la frontière, Nancy subit de nombreux bombardements par avions, zeppelins, et aussi par obus tirés par un canon géant en 1916 - 1917.

En Alsace, un petit morceau de territoire, avec Thann et ses environs, fut conquis par les Français qui firent tout pour réintégrer les habitants dans l'espace français : le 14 juillet fut à nouveau célébré; des généraux, des hommes politiques comme Poincaré vinrent visiter les zones récupérées sur les Allemands. 


Thann en 1915 avec la présence du tampon français (sans doute d'avant 1871) et allemand de la commune.

Bitschwiller célèbre le 14 Juillet en 1916 avec les drapeaux français.

Wesserling célèbre le 14 Juillet en 1915 avec un défilé militaire.



Masevaux (Haut Rhin) en août 1917, avec la visite du général Pétain.


Ainsi, dès la guerre de 1914-1918, les Français préparaient la réintégration de l'Alsace-Moselle à la France. Durant cette période, la propagande française publia de nombreuses cartes postales sur le thème de l'Alsace-Moselle retrouvées.





Roustam Aliev et Perrine Guyot, classe de P L.



Les Alsaciens et les Mosellans payèrent un lourd tribut à la guerre, dans les deux camps. Dans notre ville de Tomblaine, sur 101 soldats tombés en 1914 - 1918, on compte deux Alsaciens (Guillaume Boehm et Laurent Reinhard) et trois Mosellans (Charles Hubert Mathieu, Joseph Jacquemin et Edmond Lorentz) qui combattaient dans l'armée française.

Du côté allemand, 380 000 Alsaciens et Mosellans rejoignirent les armées du Kaiser, combattant à la fois sur le Front Occidental et sur le Front Oriental. Les pertes furent importantes et les cartes mortuaires de l'époque nous montrent le visage de nombreux jeunes hommes tombés en portant l'uniforme allemand.



Victor Weltz, 25 ans, de Sarrebourg, mort en Russie en 1916.


Joseph Hornsperger, 24 ans, de Dabo, tué à Maucourt (Meuse) le 14 octobre 1914.



Jean Velten, 21 ans, de Bitche, tué à Beaucourt-en-Santerre (Somme).

Un groupe d'élèves du lycée Arthur Varoquaux avait étudié en 2016 l'histoire d'Eugène Guerre, un cultivateur de Lezey (Moselle), soldat dans le 138ème régiment d'infanterie de Dieuze, capturé par les Français à Chaulnes dans la Somme le 22 octobre 1914 et retenu au château de Lourdes, avec d'autres Mosellans et des Alsaciens, avant de redevenir Français en 1919. 

http://varoquaux-1916-2016.blogspot.com/2016/12/portraits-de-soldats-de-la-grande_20.html


Le hasard nous a fait découvrir les papiers de Georg Wintz, un Alsacien de Sessenheim, né en 1895, près de Haguenau, et qui fut incorporé dans l'armée allemande en 1915. Après la guerre, il fut réintégré dans la citoyenneté française en vertu du Traité de Versailles du 28 juin 1919.


Georg Wintz (Sessenheim, 27 septembre 1895 - Haguenau, 5 juin 1981) avant son incorporation dans l'armée allemande.



"Soldbuch" (livret militaire) du "musketier" Georg Wintz, incorporé en 1915 dans le 97ème régiment d'infanterie.

Nous reprendrons son histoire à la fin de cette étude ...

Sur le terrain, les opérations militaires furent limitées en Meurthe-et-Moselle après la bataille du Grand Couronné en septembre 1914, et les combats furieux dans les Vosges (au Linge, au Vieil-Armand) ne donnèrent pas de grands résultats.

Il fallut attendre l'armistice du 11 novembre 1918 pour que les Français récupèrent enfin l'Alsace-Moselle après le départ des Allemands. Dans un premier temps, conformément aux clause fixées à Rethondes, les Allemands durent évacuer les territoires annexés en 1871 ainsi que les territoires conquis en 1914, pour laisser la place aux Français qui avancèrent en Moselle et en Alsace quelques jours après.


Le Lothringer Zeitung de Metz du 11 novembre 1918 avec deux gros titres en lettres gothiques: Die Waffenstillstandsbedingungen, "les termes de l'armistice" et Abdankung des Kaisers, "l'abdication de l'empereur". 



Le supplément illustré du Petit Journal du 27 juillet 1919 montrant les nouvelles frontières de l'Allemagne avec l'Alsace-Moselle restituée à la France.


L'évacuation de Longwy par les Allemands (13 novembre 1918).



Les troupes allemandes quittent Longwy, en Meurthe-et-Moselle, lourdement chargées de butin qui sera ramené en Allemagne.


Les troupes françaises traversèrent la frontière dès le 17 novembre 1918 ... Ici à Château-Salins ...




La victoire de 1918 apparaissait bien comme une revanche après la défaite de 1871.



A Metz, la foule acclama avec chaleur les troupes françaises dirigées par le maréchal Pétain et elle renversa la statue de l'empereur Guillaume Ier.




Cette carte postale montre la joie de son rédacteur de pouvoir enfin "envoyer un bonjour en bon français... Vive la France, Vive la Lorraine". Metz, 4 décembre 1918.

Les Messins posent avec le préfet Mirman et le général de Maud'huy (né à Metz en 1857) chargés de la direction de la Moselle devant le socle de la statue de Guillaume Ier. On notera sur la droite la présence de vétérans de la Guerre de 1870 - 1871 reconnaissables grâce à leurs médailles.

Léa Pérard, classe de P L.





Ce document est une photographie, datant du 19 novembre 1918. Il nous montre l’arrivée et le défilé des troupes françaises à Metz après le départ des Allemands. Cependant, c’est à Montigny-lès-Metz qu’un rassemblement de jeunes Lorraines est fait devant la mairie pour accueillir chaleureusement les troupes françaises, qui défilent glorieusement. Cette arrivée fut une libération et les Lorrains furent heureux, sept jours après l’Armistice qui clôtura la Première Guerre Mondiale. 

Partout, une foule immense accueillit chaleureusement les troupes françaises.



Les Français à Metz le 19 novembre 1918.






Des chasseurs à pied (16ème BCP) occupent la caserne du génie à Metz en 1919.


Le même endroit en juillet 2020: l'entrée de la Caisse Nationale Militaire de Sécurité Sociale.



Les Français à Strasbourg le 25 novembre 1918.

L'entrée des Français à Strasbourg (photocarte annotée au verso).





On remarquera la belle Rolls Royce Silver Ghost utilisée par le maréchal Pétain et le général de Castelnau.




Le Palais Impérial de Strasbourg occupé par les Français.


Raymond Poincaré et Georges Clemenceau à Strasbourg. 9 décembre 1918.



Lymnê Ropinski et Pierre Renaudin, classe de P L.



Officiers  du 158e R.A.P. (Régiment d'Artillerie à Pied) à Mutzig en 1919, sur l'ancien groupe fortifié allemand. Le canon Schneider de 155 mm est nommé "Boisseau". Photographie prise par Arthur Hürter, de Mutzig en Alsace. 




CONCLUSION

Le supplément illustré du Petit Journal du 15 décembre 1918.



Programme des fêtes patriotiques à Belfort, donné par le journal La Frontière du 17 août 1919, pour célébrer la Victoire et la réintégration du Haut-Rhin à la France.

Même si la Grande Guerre éclipsa la guerre de 1870-1871, les cérémonies reprirent sur les lieux traditionnels, avec faste, notamment à Mars-la-Tour où, le 16 août 1920, une grande manifestation eut lieu en présence d'une foule nombreuse (mais moins qu'auparavant selon le journaliste) et de personnalités politiques dont Albert Lebrun (L'Est Républicain du 17 août 1920).




En conclusion, on peut noter que certains Français changèrent trois fois de nationalité entre 1871 et 1918, alternant entre la France et l'Allemagne ! Même si la joie des Alsaciens et des Mosellans fut réelle, il y eut un désenchantement après 1919 car tout n'était pas négatif dans le Reichsland : les habitants jouissaient d'une bonne sécurité sociale et de jours fériés supplémentaires (toujours en vigueur avec le droit local qui a été conservé), de la prospérité économique d'avant 1914, de la liberté religieuse et d'une autonomie politique assez large ! La République Française, très laïque et centralisatrice, heurta beaucoup d'habitants. 




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Les statues allemandes mutilées par les Français (Musée de Gravelotte).

Après une enquête approfondie, portant à la fois sur les ascendances françaises et / ou allemandes ainsi que sur l'état d'esprit (l'intéressé avait-il montré de l'hostilité ou non à l'égard de la France ?), la majorité des habitants de l'ancien Reichsland redevinrent français en 1919. Ainsi, Georg Wintz, notre cultivateur de Sessenheim, devenu Georges Wintz, reçut la citoyenneté française à cette date ainsi qu'une nouvelle carte d'identité, de modèle A, attribuée aux personnes ayant eu des parents français avant 1871.








Mais en tant que citoyen français, il était considéré comme soldat (de "musketier", il passa au rang équivalent de "2ème classe") et il reçut aussi un nouveau livret militaire ... dont les quatre premières pages sont écrites en allemand ! On voit bien que les 47 ans d'annexion allemande avaient effacé l'usage courant du français chez les plus jeunes !






Il lui arriva bien des malheurs durant la Seconde Guerre Mondiale, mais ceci est une autre histoire...

Toujours en 1919, les Allemands sans ascendance française (Altdeutscher), au nombre de 200 000, furent expulsés, et des monuments allemands furent détruits ou abandonnés afin d'effacer 47 ans d'annexion. 


La statue du "Poilu Libérateur" à Metz (1922) élevée à l'emplacement de la statue de l'empereur Guillaume Ier.


La frontière franco-allemande revint à ses limites d'avant 1871 puisque le Traité de Versailles, signé le 28 juin 1919, confirma le retour de l'Alsace - Moselle à la France. Les Français décidèrent alors de la fortifier en construisant la Ligne Maginot à partir de 1929. Après une nouvelle annexion, plus courte et très violente, entre 1940 et 1944, l'Alsace et la Moselle redevinrent à nouveau françaises.



L'ancien café de la douane à Arnaville (Meurthe-et-Moselle), avec, sur la gauche, le petit bâtiment (avec la double porte en bois et les deux fenêtres) qui abritait le poste des douanes françaises. Juillet 2020.

De cette frontière de 1871, il ne reste plus aujourd'hui que quelques bornes de pierre abandonnées sur le bord des routes ou sur les crêtes des Vosges, quelques bâtiments décrépis comme la gare d'Avricourt ou le poste de douane d'Arnaville, mais les limites des départements de Meurthe-et-Moselle, Moselle, des Vosges, du Haut-Rhin, Bas-Rhin, du territoire de Belfort restent encore celles fixées par le traité de Francfort !



Classe de Première L, sous la direction de Jérôme Janczukiewicz, professeur d'histoire-géographie.


Cette étude a reçu un prix de l'Education Citoyenne décerné à la préfecture de Nancy le 25 juin 2019.